“Love is blind Habibi” : une autre représentation des relations amoureuses dans le monde arabe ?

Entre clichés, traditions et désirs d’émancipation, l’émission de dating de Netflix dresse un portrait éclectique des histoires d’amour, sauce MENA. 

Crédit photo : Netflix

Après les États-Unis, le Royaume-Uni, le Brésil ou le Japon, la franchise “Love is blind” se décline aux Émirats arabes unis dans sa version “Habibi”. Le concept ? Pendant dix jours, quinze hommes et quinze femmes célibataires enchaînent les speed-dating dans des “pods”, où ils apprennent à se connaître sans jamais se voir avant, “inchallah” de se demander en mariage, toujours à l’aveugle, pour se rencontrer enfin. S’ensuit alors un séjour luxueux, des dramas à gogo, et, pour les plus chanceux, une cérémonie en robe blanche. 

Comme nous, Donia Ismail, journaliste spécialisée sur le monde arabe et de sa diaspora, a binge-watché le show avec ses copines, se délectant des histoires amoureuses complexes de Karma et Amar, Asma et Khatab ou Dounia et Chafic. “Ce que je retiens surtout de “Love is blind Habibi”, étant une consommatrice des “Love is blind” de manière générale, c’est qu’on a ici une version très différente qui s’adapte aux coutumes de la région. Ils ne dorment pas ensemble, ils n’eménagent pas dans un appartement. Les rites religieux sont aussi respectés, notamment dans le cadre de la relation Mohammed et Safa. Ils ne se disent pas “je t’aime” de la même façon…”, énumère-t-elle. 

Crédit photo : Netflix

Une version nouvelle, oui, mais stéréotypée

Issus du Maghreb, du Liban, de Dubaï ou d’Egypte, les célibataires jouent pourtant le jeu de la téléréalité, connue pour être elle-même codifiée, et incarnent, probablement malgré eux, des stéréotypes à la peau dure. “Quand on découvre toute cette galerie de personnages, on se rend compte qu’ils sont très caricaturaux, qu’ils représentent tous les clichés qu’on a sur tel ou tel pays. Le Syrien très conservateur, l’Egyptien qui fait des blagues, la Tunisienne féministe… On dirait les cartes d’un jeu”, relève Donia Ismail. Et oui, malgré une mise en scène plus pudique que les autres versions, “Love is blind Habibi” reste finalement un “Love is blind” comme les autres, où des candidats caricaturaux rejouent grossièrement la réalité des relations homme/femmes contemporaines. “Ce qui existe dans le monde arabe existe partout”, rappelle la journaliste, qui ne se remet pas de l’acharnement subi par Nour dans l’épisode tant attendu de la réunion, symptomatique d’un patriarcat finalement international. 

Rapidement moquée sur les réseaux sociaux pour avoir dit que “les féministes [avaient] tout gâché”, la Libanaise a très vite dépassé le rôle de la bimbo imposé par le programme pour devenir, ironiquement, un symbole féministe à son tour. “Cet acharnement de la part de tous les hommes et d’une partie des femmes était très violent, et on a eu tout un condensé d’une attaque patriarcale et misogyne. En plus de cela, cette scène regroupe également tous les clichés que l’on a sur les femmes libanaises, qui seraient très belles, vénales et aux lèvres refaites – ce que Chafic ne manque pas de lui faire remarquer”. Pourtant, loin de se laisser faire, Nour garde un calme olympien pour remettre ces hommes à leur place, leur rappelant qu’elle a simplement des standards, au même titre que ses collègues masculins qui attendent des choses très précises de leur femme, comme ils le rappellent tout au long de l’émission.

Crédit photo : Netflix

Un manque de diversité masculine

Le point fort de cette version réside très probablement dans son casting féminin, qui s’oppose avec force à un boys-club qui manque de nuance (ce qui est souvent le cas dans “Love is blind”). Star de la saison, la danseuse Karma claque ainsi la porte à son compagnon, Amar, qui souhaite que sa femme arrête la danse s’il l’épouse. Face à un homme peu ouvert au dialogue, la jeune femme rompt, préférant choisir son art à une relation amoureuse qu’elle perçoit déjà comme oppressante. “Ils se disent tous hyper ouverts parce qu’ils font ce genre d’émission, ils ont des tatouages, ils sont éduqués… Pourtant, tous les mecs ont des réflexes conservateurs et sur-performent leur masculinité toxique”. Entre Simo le gaslighter, Mido l’incarnation même de la masculinité fragile, Amar le control-freak, Chafic le dragueur… Difficile de trouver un homme sain dans ce triste panel.

Si le programme nous immerge dans un aperçu de ce que peuvent être les relations amoureuses dans le monde arabe, il manque cependant de réalisme et de nuance permettant, une bonne fois pour toute, de déconstruire tout un imaginaire exotisant et essentialisant des rapports hommes/femmes dans la région MENA. Qu’attendre alors d’une prochaine saison ?

“Dans cette saison, tous les profils venaient de classes sociales hyper aisées et ont une réalité très différentes de beaucoup d’entre nous. J’aimerai une plus grande diversité pour la prochaine. Mais surtout, il faudrait une multiplicité des profils d’hommes”, soulève Donia Ismail, “La toxicité était particulièrement effrayante cette saison. Et ça ne concerne pas les positions plus conservatrices de certains, parce qu’elles existent dans n’importe quelle déclinaison de la franchise. Mais certains propos ou comportements étaient ici particulièrement toxiques… Et c’est ce qui m’a choqué en tant que personne issue de cette région là.”

Espérons une mise à niveau plus réaliste l’année prochaine.

7 novembre 2024

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