Des pièces de musée aux salles des ventes, la plus célèbre des sœurs Kardashian semble vouloir s’acheter la même crédibilité qu’une lignée d’icônes. Ou comment acquérir les vêtements des mortes pour se faire une place chez les vivantes.
Longtemps, les tenues de Kim Kardashian ont été scrutées, décryptées, admirées – voire moquées. Pourtant, aucune n’avait fait autant de bruit que celle portée lors du Met Gala 2022. Arrivée au bras de son petit-ami de l’époque, la star des réseaux a fait sensation dans une robe moulante beige sertie de cristaux. Pas vraiment dans le thème “Gilded Glamour and White Tie” de cette année, KK a pourtant volé la vedette à toutes les reines du Met Gala en portant une pièce tout droit sortie des collections du musée Ripley’s, celle-là même portée par Marilyn Monroe en 1962 pour chanter le fameux “Happy Birthday, Mr President” à John F. Kennedy.
Signée Bob Mackie, cette tenue avait été acquise en 2016 par le musée pour 4,8 millions de dollars, faisant d’elle la robe la plus chère du monde. Conservée depuis dans une pièce à température mesurée et manipulée avec beaucoup de précaution, la robe – devenue une pièce de musée – n’avait donc certainement pas vocation à être portée. Surtout par une femme aux mesures si différentes de celles de Marilyn. Kim K ou une autre d’ailleurs.
Ce qui devait arriver arriva. Même si Kim ne l’a arborée que quelques minutes, avant d’enfiler une réplique, c’est évidemment un gros tollé qu’elle s’est prise par la suite : elle l’aurait abîmé (ce qui est visiblement faux, à en croire le musée), elle aurait déshonoré la mémoire de Monroe, et ferait la promotion de régime dangereux pour rentrer dans cette robe, perdant 7 kilos en trois mois. Un backlash médiatique sans précédent mais qui illustre à la perfection l’adage “qu’on parle de moi en bien ou en mal, l’important c’est qu’on parle de moi” que Kim K semble avoir pris pour mantra. Et pour l’aider dans sa quête de célébrité, l’ex-femme de Kanye West semble avoir un plan cousu main : s’appuyer sur les fantômes du passé.
« Kim Kardashian a changé l’histoire de la robe. Ca sera éternellement la robe de Marilyn Monroe portée par Kim Kardashian”
La journaliste Saveria Mendella dans le documentaire Arte Kim Kardashian Theory
Money from the dead
On la critique sur les réseaux pour avoir porté la robe de Marylin ? Qu’à cela ne tienne : elle en fera la robe “Kim Kardashian” en capitalisant sur ce moment. D’abord avec des avatars de la robe dans son jeu vidéo, puis en proposant une version à moins de 200 dollars sur le site de sa marque, Skims. Associée à Swarovski, la créatrice de lingerie a ainsi imaginé une version shapewear de cet instant mode pour permettre à tout le monde de s’offrir un petit bout de l’histoire et, surtout, continuer de faire parler (et de s’enrichir) même une fois la montée des marches du Met derrière elle. “Lorsque Kim a porté la robe Marilyn Monroe au Met Gala, elle a affirmé sa volonté de s’en approprier l’aura au sens le plus Walter Benjamin du terme, explique MJ Corey, chercheuse à l’origine de @kardashian_kolloquium et autrice du futur ouvrage, DeKonstructing the Kardashians dans les colonnes de la version britannique de Vogue. Citant le philosophe allemand mort en 1940, et qui assurait que la technologie allait faire perdre l’âme aux objets uniques.
La robe qui a été faite pour et portée par Marilyn Monroe ne peut pas être reproduite de manière absolue, car elle a été faite par quelqu’un d’emblématique pour un moment emblématique dans le temps. Ainsi, en fabriquant en masse la robe qu’elle a elle-même récupérée, Kim donne maintenant à tout le monde la chance de faire à cette robe exactement ce qu’elle a fait à la robe de Marilyn. Cela crée donc des couches d’impulsions de consommation”.
D’ailleurs, quelques mois plus tard, la mère de North apparaissait une nouvelle fois grimée en Marilyn lors du LACMA Art+ Film Gala, grâce à une réplique rose bonbon Balenciaga de la célèbre robe du film Les hommes préfèrent les blondes, ravivant une nouvelle fois le débat “Kim K avait-elle le droit de porter la robe de Marilyn ?”. En réalité, le vrai débat se situe ailleurs et la question que l’on doit se poser est finalement : “qui d’autre que Kim Kardashian pouvait porter cette robe ?”
Une collectionneuse hors-pair
Reine incontestée du buzz, la fille de Kris Jenner est également une redoutable businesswoman, qui crée ses moments mode en fonction de l’actualité. Ainsi, le Marilyn-gate a eu lieu pendant la promotion du film Blonde, et, plus récemment, c’est vêtue de la croix d’’Attallah, un pendentif en améthyste porté à plusieurs reprises par la princesse Diana et acheté par Kim en 2023 chez Sotheby’s pour plus de 160 000 livres, que la star de télé-réalité est apparue.
Un bijou très précieux que Kim gardait soigneusement caché depuis son acquisition (qui a eu lieu au moment de la sortie de la brûlante autobiographie du prince Harry, Spare) et qu’elle a dégainé au moment où la royauté britannique fait les choux gras de la presse internationale. Hasard du calendrier ? Pas vraiment, selon MJ Corey, “Je soupçonne Kim de s’insérer consciemment dans les cycles médiatiques viraux sur les icônes qui redeviennent tendance en faisant des achats comme ceux-ci. Lorsqu’elle fait ces achats, elle partage des hashtags avec le nom de Marilyn, celui de la princesse Diana, des personnes dont l’histoire emblématique lui permet en quelque sorte de tromper les algorithmes actuels, pourtant difficiles à utiliser”.
Ainsi, comme le souligne le site Money Wise, après qu’elle ait acheté la croix d’Attalah, les recherches Google pour “collier Diana” et “Kim Kardashian Skims” ont drastiquement augmenté aux États-Unis. Les termes “Prince Harry – Kim Kardashian” ont également gagné en popularité, mêlant la femme de 44 ans à la famille royale en une seule apparition sur un tapis rouge, pour faire bénéficier sa propre marque d’une telle association sans avoir l’air d’y toucher. Jackpot.
La filiation par l’achat et construction de la mythologie KK
Ce goût de la filiation, Kim Kardashian l’entretient avec à peu près toutes les icônes de l’histoire et de la pop-culture, notamment américaine. En 2017, la star de la télé-réalité se glissait par exemple dans la peau de Jackie Kennedy à l’occasion d’un photoshoot pour le magazine Interview, à la même époque où son ex-mari, le rappeur Kanye West, annonçait avoir des ambitions politiques. Évidemment, sur le coup, c’est le scandale. Ce qui n’empêchera ni le musicien d’obtenir plus de 60 000 voix lors des élections présidentielles de 2020, ni la mère de North de s’offrir la montre Cartier “Tank” ayant appartenu à Jackie Kennedy pour la somme de 300 000 euros, n’en déplaise à ses détracteurs.
Car au-delà même de ses affaires, l’acquisition d’objets iconiques par Kim Kardashian permet de l’associer à ceux qui ont fait la pop-culture, et de l’introniser doucement comme reine de cette même histoire populaire. “Des icônes comme la princesse Di, Marilyn, Liz Taylor, Michael Jackson, qui dominaient les médias à une époque plus ancienne, ont toujours une emprise unique sur le public” , rappelle MJ Corey, cette fois-ci pour Dazed. En 2011, elle s’offre ainsi trois bracelets en jade et diamants ayant appartenu à Elizabeth Taylor pour environ 65 000 dollars, l’année du décès de l’actrice. Passionnée par son parcours, Kim a d’ailleurs été la dernière personne à l’interviewer, et a par la suite décidé de produire le documentaire Elizabeth Taylor: Rebel Superstar, diffusé sur la BBC.
Une façon de revendiquer ses amitiés, mais aussi de rappeler qu’elle est celle à qui Cléopatre a donné son flambeau de sex-symbole, d’icône, de femme libre et de philantrope. Et, tout en bénéficiant d’un lien de filiation par l’objet, à contribuer à créer sa propre mythologie. “En portant cette robe au Met Gala, Kim Kardashian a changé l’histoire de la robe. Ca sera éternellement la robe de Marilyn Monroe portée par Kim Kardashian”, rappelle ainsi la journaliste Saveria Mendella dans le documentaire Arte Kim Kardashian Theory. Des propos soutenus par le spécialiste de la seconde-main Alexis Novak, qui affirme dans les pages de Nylon que “Kim Kardashian est une personnalité publique qui aura absolument une importance historique (…) Elle a ajouté de la provenance et de la valeur à la robe. Du point de vue des archives, elle aura une double valeur historique.”
S’approprier le passé pour s’assurer un avenir ? Pari réussi pour Kim.
11 décembre 2024