La Fashion Week de Paris peut-elle faire comme si de rien n’était en Ukraine ?

Alors qu’a débuté la semaine de la mode à Paris, celle que l’on taxe souvent d’élitiste et de superficielle va t-elle jouer l’évitement ?

Défilé Acne Studios SS18

À Milan déjà, seul Giorgio Armani avait choisi de transformer son hommage aux victimes de la guerre en Ukraine, en autre chose qu’un post Instagram. Alors que les troupes de Vladimir Poutine continuaient leur percée en pleine semaine de la mode milanaise et que le monde international était en émoi, la marque avait choisi de faire défiler ses mannequins dans le silence. Un respect, écrira le designer, comme pour entendre les coeurs qui battent. Ils sont deux à avoir porter leur message jusque sur les podiums. Un peu plus tard c’est la créatrice Francesca Liberatore qui attrapera par la main deux mannequins ukrainiennes et russes, invitant au même moment son public à les rejoindre pour une minute de silence. Mais alors que la Fashion Week de Paris a débuté, quel rôle vont décider de jouer les acteurs du secteur ?

La mode doit-elle être politique ?

Alors la planète mode est-elle indifférente à la cause ukrainienne ? Pas vraiment à en croire quelques messages postés sur les réseaux sociaux, comme celui d’Alessandro Michele à la tête des collections chez Gucci qui invite à la paix en réécrivant un poème de Gianni Rodari. « Il y a des choses à ne jamais faire, ni le jour, ni la nuit, ni par voie de mer, ni par voie de terre: par exemple, la guerre », écrit-il en légende d’une photo laissant apparaitre un homme muni d’une pancarte « Make Love Not War ». Mais tout cela sur son compte personnel pas celui de la marque. Jacquemus lui, qui se sert de l’Instagram de sa marque éponyme pour faire passer ses messages, ose. Dans son feed, une photographie de Franco Fontana reprenant les couleurs du drapeau ukrainien, appelle à la paix. « PEACE RIGHT NOW PLEASE » écrit le sudiste en lettres majuscules.

En story aussi le créateur français est très actif. Relais d’une cagnotte pour aider le peuple ukrainien, repost d’une publication du média AJ+ montrant des immigrés de couleur noir repoussés à la frontière Ukraine-Pologne. Jacquemus s’implique. On notera qu’il ne défile pas lors de cette Fashion Week de Paris, mais ces prises de positions n’ont rien d’étonnant pour celui qui s’attache déjà à combattre les homophobes auprès de ses 4,3 millions d’abonnés. Le groupe de luxe Kering a de son côté posté un carré blanc accompagné d’une colombe. Rien pour LVMH.

Sur le site officiel de la Fédération de la Haute Couture et de la Mode, un encadré bleu intitulé « Ukraine » trône en première page. « La grande famille de la mode se retrouve pour la Paris Fashion Week au moment où la guerre s’est brutalement abattue en Europe et plonge le peuple ukrainien dans l’effroi et la douleur », écrit Ralph Toledano, Président de la Fédération française. « La création repose sur le principe de liberté, quelles que soient les circonstances. Et le rôle de la mode est de contribuer à l’émancipation individuelle et collective dans nos sociétés. La Fédération de la Haute Couture et de la Mode vous invite donc à vivre les défilés des jours à venir avec la gravité qui s’impose en ces heures sombres », couche-t-il ce 28 février en préambule de la Fashion Week de Paris dans un communiqué.

La mode en campagne

Il faut dire que la mode a hâte de retrouver son public, ces Fashion Week de Milan ou encore Paris renouent avec la normalité, une première depuis le début de la pandémie. Les masques ne sont plus de mises, les salles se sont agrandies, les célébrités en pagaille sont assises front row. Pour Off-White™ qui renouait avec les catwalks depuis la mort de son fondateur Virgil Abloh en novembre 2021, l’heure était à la célébration. Rihanna et A$AP Rocky mais aussi Kendall Jenner, les soeurs Hadid ou encore Serena Williams avaient fait le déplacement. Preuve aussi que tout redevient comme avant, sur Twitter on s’interroge : mais c’est toutes les semaines la Fashion Week ou quoi ? Le calendrier ralenti du Covid nous avait presque fait oublier que la fashion sphère est une machine à rouleau compresseur. Il n’est plus temps de prendre son temps. Il faut vendre, faire rêver, rattraper les mois de disette des confinements successifs et renouer avec ses moments de liesse.

Mais est-ce vraiment à cette planète qu’on décrit souvent comme en orbite du monde réel, de se revêtir d’un rôle de sensibilisateur ? La mode doit-elle se mêler de la politique ? Elle a su le faire pour Black Lives Matter. On verra si elle le fera pour l’Ukraine. Mais bien loin des rues de Kiev ou de Kharkiv, strass paillettes et drapés pourraient aveugler le luxe. Le fric c’est pas toujours chic ?

1 mars 2022

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