Emma Soriano, la boss du rap est une femme de l’ombre

Elle est connue de tous les journalistes, et pourtant, très peu ont eu l’occasion de la faire parler d’elle. On a rencontré la big boss des relations presse du hip-hop, Emma Soriano, pour comprendre qui se cache derrière le succès de tous les plus grands artistes rap français et internationaux.

Crédit photo : Pete Casta pour Ancré

Si vous ne répondez pas à un mail, Emma Soriano vous trouvera sur Twitter. Si vous ne répondez pas sur Twitter elle vous trouvera sur Instagram et Facebook. Emma Soriano est de ces attachées de presse qui hustlent. De celles qui ne lâchent rien. De celles qui demandent encore en ami sur Facebook les journalistes avec qui elle échange pour être sûre qu’ils ne rateront aucune actualité des artistes qu’elle gère. Elle est partout et à la fois, Emma reste un mystère. Jusqu’à tomber sur une de ses photos de vacances et vous réalisez que comme vous, c’est une entrepreneuse. Qu’elle charbonne pour se créer la vie qu’elle veut. Alors vous comprenez ses messages à 22h pour vous parler du nouveau titre de Pit Baccardi.

Crédit photo : Pete Casta pour Ancré

Emma Soriano gère son business toute seule, depuis près de 30 ans, comme une boss. Son job ? Gérer les relations presse et la communication d’artistes comme Lyna Mahyem, Luidji ou Usher et Mary J Blige quand ils sont en France. Si son nom est connu de toutes nos boîtes mails, son visage, lui, n’est jamais dévoilé. Et ses prises de paroles dans les médias, elles, sont quasi inexistantes. “Moi, je pense que je suis quelqu’un de l’ombre et qui doit rester dans l’ombre. Je n’ai rien à faire à côté de la caméra, à côté de l’artiste, à parler. Me mettre en scène, ça ne m’intéresse pas. Ce n’est pas moi l’artiste ! Si je m’occupe d’eux, c’est pour les mettre en lumière, pas profiter de la leur”. Alors quand on lui a dit qu’on voulait faire son portrait, Emma Soriano, toujours avec sa franchise légendaire, n’était pas franchement partante. Heureusement pour nous (et vous), la patronne des RP a fini par nous à accueillir chez elle, au milieu des ses dizaines de disques d’or, pour nous parler un peu de son métier, de sa place de femme dans un milieu encore trop masculin ou encore du secret de sa longévité.

Faire son trou

“Ce qui m’a fait durer, c’est la passion. La passion pour la musique, la passion pour mon taf. Ce n’est jamais redondant, même après trente ans. Le son change tout le temps, les médias aussi. Les artistes ne sont pas les mêmes, les histoires ne sont pas les mêmes… Et tant que je continue à kiffer, pourquoi est-ce que j’arrêterai ?” Dans un monde où tout va très vite et où les carrières s’essoufflent au bout de quelques années, Emma Soriano fait office d’alien. Surtout que rien ne la prédestinait à emprunter ce chemin, et à se faire un nom aussi ancré dans le monde du hip-hop, et, plus largement, de la musique. En parallèle de ses études dans la comptabilité et son BTS action commerciale, notre interlocutrice du jour nous explique danser dans le milieu du hip-hop. “En dansant, j’ai fait des rencontres qui m’ont vraiment donné envie de m’investir dans la musique. J’ai envoyé des CV partout, dans toutes les maisons de disques, dans toutes les radios, les télés, partout. Peu importe pour quel taf, j’étais preneuse. Je n’ai pas lâché, et j’ai réussi à obtenir un entretien chez V2 Music (aujourd’hui V2 Records, ndlr). Ils ont dû en avoir marre de recevoir mes CVs (rires). J’y ai commencé comme assistante juridique et au fil du temps, j’ai fait mon trou.” 

Crédit photo : Pete Casta pour Ancré

Passée par différents labels, Emma Soriano a occupé tous les postes. Un “couteau-suisse” comme elle dit. “J’ai fait de la fabrication, du marketing, j’ai été office manager, j’ai fait de la direction artistique… Ça m’a permis de comprendre tous les rouages, tous les départements. Aujourd’hui, c’est ce que je conseille aux jeunes qui veulent se lancer : rentrez en maison de disque, et touchez à tout. Ça vous permettra de parfaitement comprendre les rouages du milieu”. Et après avoir touché à tout, Emma Soriano a décider où s’établir : dans la communication des artistes. Une évidence pour celle qui avoue avoir un petit “syndrome du sauveur”. “Ma mère m’a toujours dit “Mais toi, t’aurais pu être assistante sociale”. (Rires), Alors, même si je ne le suis pas, je fais quand même un travail de l’humain, je leur apporte un soutien. Et j’ai envie qu’ils y arrivent, j’ai envie qu’ils s’en sortent, j’ai envie qu’ils soient connus et j’ai envie que leur projet mène à bien.”

Rester la même dans un monde qui change

En 2009, après des années d’expérience, Emma Soriano se lance, un peu par hasard, dans l’aventure de l’indépendance et lance sa propre société : New York Entertainment. “J’étais partie de ma boîte, et je ne savais pas encore trop ce que me réservait l’avenir. Et je ne sais pas comment, la rumeur a circulé que j’allais monter mon entreprise, alors que ce n’était même pas dans mes projets. Et on m’a appelé, pour me dire qu’on voulait bosser avec moi, et je n’ai pas réfléchi, je suis allée à l’URSSAF et j’ai créé ma boite !” Le fait que tout le monde se l’arrache, après quelques minutes passées avec Emma, ça ne nous étonne pas. “En promo, beaucoup de gens me disaient, “ouais, tu travailles bien, c’est cool.” Mon créneau, c’est l’honnêteté. Parce que je n’ai pas envie de me mentir à moi-même. Donc je pense que les gens aiment bien ma franchise : quand ils travaillent avec moi, ils savent à quoi s’en tenir et ils savent que je ne leur mentirai pas”

Dans son appartement aux portes de Paris, Emma Soriano cumule les disques d’or
Crédit photo : Pete Casta pour Ancré

Si en trente ans, les codes ont changé, Emma Soriano, elle non. Et reste fidèle à elle-même, et à son flair. “Pour travailler avec quelqu’un, il faut que ça me parle, il faut que je kiffe. Il faut que je regarde l’artiste en interview, que ça me parle vraiment et que je ressente quelque chose, nous explique-t-elle, Je me fais confiance, mais par contre, je n’hésite pas à appeler quelques collègues si j’ai un doute, pour avoir un deuxième avis. J’ai une bonne intuition, mais il faut aussi pouvoir rester humble et savoir travailler en équipe”. Pourtant, le monde de la musique a été soumis à un immense bouleversement : l’ère du streaming. À laquelle Emma Soriano, comme toute une génération, a été obligée de s’adapter, non sans réserve. “Je regrette tellement que ça soit Génération Kleenex et qu’on passe vite fait à un autre titre. Tout va très très vite. Trop vite. On ne consomme plus la musique de la même manière. Évidemment, ça a eu un impact sur toute l’industrie, et donc, sur mon métier. Toutes les semaines, j’ai un clip, j’ai un single. Avant, on travaillait un single en radio, ça marchait 3 mois ou 6 mois si ça marchait super bien. Aujourd’hui, le temps est raccourci, et les plateformes, elles, se sont démultipliées”. 

Crédit photo : Pete Casta pour Ancré

Journal d’une girlboss

Alors Emma Soriano bosse. Elle bosse d’arrache-pieds même, pour pérenniser ses artistes de la première heure, comme Magic System ou Common, et pour accompagner des débuts de carrière, comme celle de HolyBrune. “Avoir des profils complètement différents, ça me permet de changer de stratégie, ça me permet de penser différemment, détaille-t-elle, Je ne sais pas comment l’expliquer, c’est automatique, mais j’arrive vite à cerner la manière dont je dois accompagner tel ou tel artiste. C’est spontané, même si je suis toujours ouverte aux discussions qu’on a avec les producteurs. La nouveauté, ça ne m’effraie pas, bien au contraire ! Je me triture la tête pour essayer d’aller plus loin encore, de sortir de ma zone de confort”. Une capacité d’adaptation qui a fait sa réputation. “J’ai été une des premières à faire le lien entre promo musique et une autre discipline. Pour te donner un exemple, j’ai hyper vite placé des artistes comme Kool Shen dans des magazines de foot, ou Busta Flex, qui adore le fitness, dans des médias qui avaient cette ligne éditoriale là.” Une position de précurseur associée à un caractère aussi doux que bien trempé qui ont permis à Emma Soriano de s’imposer dans un milieu pas hyper célèbre pour sa parité. 

Crédit photo : Pete Casta pour Ancré

“J’ai une grande gueule, assume la RP, et je suis honnête, je ne me fous de la gueule de personne. Et puis je travaille, j’ai des résultats, je bosse. Alors je pense que ça force le respect, chez les hommes comme chez les femmes.” Si elle se félicite de n’avoir jamais eu de gros problèmes dans ce milieu, elle admet ne pas avoir de mal à recadrer ceux qui ont tenté de lui en créer. “Si le mec me manque de respect, je lui dis. Si quelqu’un me touche, même l’épaule, je lui dis : “tu ne me touche pas”. Il faut s’affirmer. Vous voulez jouer les bonhommes ? Nous aussi les filles, on peut être des bonhommes. Ou plutôt, des bonnes femmes !” Un discours qu’elle tient auprès de la jeune génération, étant devenue mentore presque malgré elle. “Le rap, c’est un milieu qui s’est construit avec un mec qui tient le micro, et une femme objectifiée qui danse à côté. Alors évidemment, quand c’est une femme qui veut prendre le micro, pour certain, ça coince… Entre femmes, il faut se soutenir. Surtout quand certaines me disent que c’est compliqué pour elles. Heureusement, les choses changent : maintenant, les femmes ont moins peur de parler, elles ne se laissent plus faire comme ça.” Et c’est sur quand on a une personnalité comme Emma Soriano pour nous servir de marraine la bonne fée, aucune chance de se laisser marcher sur les pieds. Que l’on soit un mec, ou une meuf. 

13 juin 2025

Previous Article

SHEIN est accusé d’utiliser des dark patterns : mais c’est quoi exactement ?

Related Posts