Pourquoi le Black Twitter ne pleure pas la mort d’Elizabeth II

Retour sur l’empire colonial qu’a été le Royaume-Uni et sur l’héritage laissé par la Reine.

Crédit photo : Portrait officiel noir et blanc – Chris Levine/Rob Munday
Drapeau du Kenya

Dès l’annonce du décès de la Reine Elizabeth II des voix dissonantes se sont élevées. Notamment sur Twitter ou derrière le hashtag #BlackTwitter sont apparus des centaines de messages oscillant entre haine, humour et parfois même célébration. Ce que reproche le Black Twitter à la défunte monarque (pas obligé d’être noir pour penser la même chose) : le colonialisme de son empire. Si lorsqu’elle est couronnée en 1952 l’Angleterre décolonise peu à peu les pays les territoires sous l’égide britannique, comme la Gambie, le Kenya, la Jamaïque, il faudra en réalité presque dix ans avant que ces pays obtiennent l’indépendance. Non sans violence.

“En 1952, l’administration coloniale britannique est bien loin de s’imaginer l’indépendance de ses colonies africaines. Il y a eu de nombreuses violences coloniales notamment au Ghana, qui s’appelait  alors “Gold Coast”, ou encore au Kenya. C’est ce dont il s’agit dans les reproches qui sont faits ces derniers jours. Même si ces violences ne sont pas du fait de la reine, elles ont été perpétrées en son nom. Elle en est le symbole. La plupart des colonies étaient d’ailleurs appelées “les colonies de la Couronne”, rappelle Maud Michaud, spécialiste de l’empire colonial britannique, dans une interview de TV5 Monde. Les mouvements anti-coloniaux au Kenya, à Chypre, au Yemen ou encore en Irlande ont été matés dans le sang.

La répression des Mau-Mau

L’un des épisodes les plus marquants de la colonisation britannique : la fronde des Mau-Mau. Derrière ce nom se cache une poignée de Kényans militant pour les droits des autochtones. Mécontents que leurs terres et bétails soient subtilisés par l’envahisseur britannique, au profit des fermiers blancs, ils entament une rébellion. La répression ne se fait pas attendre et dès le 20 octobre 1952, le pouvoir colonial instaure l’État d’urgence et multiplie les emprisonnements, les actes de tortures, les sévices sexuels et les meurtres. Parmi l’un des prisonniers : le grand-père paternel de Barack Obama, arrêté et torturé par les britanniques pour son soutien supposé aux mau mau.

Il faut attendre 2013 pour que David Cameron, alors premier ministre du Royaume-Uni reconnaisse publiquement les massacres perpétués par l’empire britannique au Kenya, le tout après le verdict d’un procès opposant l’état d’Angleterre à 5 228 victimes africaines. “Le gouvernement reconnaît que des Kényans ont été soumis à des tortures et à d’autres formes de mauvais traitements entre les mains de l’administration coloniale (…) La torture et les mauvais traitements sont des atteintes odieuses à la dignité de l’homme que nous condamnons sans réserve“, confessera le premier ministre. Les victimes (petits enfants ou arrière petits enfants de prisonniers souvent) se voient alors attribuer la somme de 19,9 millions de livres (soit 23,5 millions d’euros) par l’Etat de Grande-Bretagne en guise de réparation.

La position de la Reine

Si elle n’est pas la cheffe de son gouvernement, son rôle étant avant tout symbolique, Elizabeth II s’opposera tout de même à sa ministre Margaret Tatcher en 1979, lorsque cette dernière ne souhaite pas se joindre aux pays du Commonwealth, qui tous à l’unanimité souhaitent dénoncer l’apartheid en Afrique du Sud. Et pour que des sanctions soient mises en place, les 48 pays doivent tomber d’accord. Face aux réticences de celle qu’on appelle “La Dame de fer”, Elizabeth II va se positionner contre sa ministre, en se rendant à un sommet sur le continent africain (5e sommet des chefs de gouvernement du Commonwealth en Zambie, ndlr), clairement anti-apartheid. L’incident est d’ailleurs retranscrit dans l’épisode 8 de la saison 4 de The Crown.

Si on lui reprochera surement de ne pas avoir fait part de son opinion en public, Elizabeth II n’a eu cesse d’afficher sa sympathie pour des dirigeants africains contestés par le pouvoir britannique. Au cours de sa vie elle aura effectué 21 tournées en Afrique. Mais jamais elle n’aura publiquement reconnu les crimes du gouvernement britannique à haute-voix. Et c’est là que le bas blesse.

La rancoeur elle, est toujours présente pour certains descendants des pays colonisés. Dans un tweet depuis supprimé par Twitter, une professeure américaine exprimera sa rage. “J’ai entendu dire que le monarque en chef d’un empire génocidaire voleur et violeur est enfin en train de mourir”, écrira Uju Anya, professeur de linguistique appliquée à l’Université Carnegie Mellon et dont les parents nigérians ont survécu à un génocide britannique. “Puisse sa douleur être atroce.”, continue t-elle. Les réactions de tristesse de certains Présidents africains actuels, comme celle de Cyril Ramaphosa en Afrique du Sud qui salue une “figure extraordinaire” ayant mené “une vie remarquable”, ne feront pas l’unanimité. Pareil sous le tweet hommage du président kenyan William Rudo qui qualifie “le leadership de la reine sur le Commonwealth au cours des sept dernières décennies” de “admirable”, et qui en réponse recevra de nombreuses photos des massacres perpétués par l’empire britannique sur les terres kenyanes.

La Couronne et son diamant “La Grande Étoile d’Afrique”

La Reine portait-elle un diamant sur sa couronne volé à l’Afrique du Sud ? Pour comprendre cette affaire il faut remonter à 1905. Cette année là, une pierre de 530 carats est extraite de la mine Premier dans la province du Transvaal en Afrique du Sud. Acheté par le gouvernement local au prix de 150 000 livres, ce diamant est ensuite présenté au monarque britannique de l’époque, le roi Édouard VII. Si la famille royale refuse tout d’abord le cadeau, Winston Churchill, vice-ministre à l’époque, accepte et fait envoyer le diamant en Grande-Bretagne où il sera sculpté et poli pour Edouard VII. La pierre sera finalement découpée en 9 morceaux, les deux plus gros seront placés sur la couronne, et les sept autres seront dispersés sur des colliers, bagues et autres accessoires portés plus tard par Elizabeth II.

Plusieurs sud-africains s’interrogent sur la relation colon/colonisateurs qui aurait poussé à l’époque le gouvernement à offrir le plus gros diamant brut jamais découvert au monde à son envahisseur. En Inde aussi un diamant est rappelé par le peuple depuis l’annonce de la mort d’Elizabeth II.

Pour plus de lecture :
La reine et les républiques africaines du Commonwealth en trois événements
Décès d’Elizabeth II : “La monarchie met du temps à regarder en face son passé colonial”
I won’t cry over the death of a violent oppressor

14 septembre 2022

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