Gérald Marie avait déjà été pointé du doigt en 1999.
Lisa Brinkworth, une ex-journaliste de la BBC, a décidé de prendre la parole dans une enquête visant l’ancien patron de l’agence de mannequins Elite, fondée en 1971. C’est dans le studio de l’AFP que Brinkworth, aujourd’hui âgée de 54 ans, brise le silence après avoir porté plainte en 2020 : « Pendant 20 ans, ça m’a hantée. Ça m’a hantée. ». Les faits remontent à 1998, lorsque la journaliste d’investigation décide d’infiltrer Elite, agence leader dans le monde du mannequinat dans le but d’enquêter sur des « comportements sexuels inappropriés de certains agents de mannequins ». Dans la nuit du 8 au 9 octobre de la même année, lors d’une sortie en boîte de nuit avec le directeur Europe de l’époque, la soirée tourne au drame. Ce soir là, Lisa Brinkworth accuse Gérald Marie de l’avoir « chevauchée alors qu’elle était assise et d’avoir commencé à lui enfoncer son sexe dans le bas-ventre ». Plus de 20 ans après les faits, l’ancienne journaliste s’exprime, encouragée par le mouvement #MeToo, et décide de porter plainte contre celui qu’elle désigne comme un « prédateur sexuel ». Le parquet de Paris a de son côté déjà ouvert une enquête en septembre 2020 pour « viols », « agressions sexuelles » et « harcèlement » notamment sur mineures à l’encontre de Gérald Marie. Une enquête qui pourrait être freinée par une probable prescription des faits au vu du silence que s’est imposée Lisa Brinkworth suite à un accord conclu entre BBC et Elite en 2001.
"It's haunted me for 20 years."
— AFP News Agency (@AFP) September 6, 2021
Over a dozen women hope their harrowing testimonies will spur prosecutors to pursue a pillar of the French fashion industry, ex-chief of the Elite agency Gerald Marie, accused of abusing models with widely known impunityhttps://t.co/rWk3k6tdB3 pic.twitter.com/W2vazwVQBS
Interrogé sur l’affaire en 1999 dans l’émission « Tout le monde en parle » de Thierry Ardisson, Gérald Marie s’était défendu sur ce qu’il qualifiait de « non affaire ». Suite à la diffusion de l’enquête de la BBC qui avait fait scandale la même année, Elite avait annoncé la démission de deux dirigeants mis en cause, dont Gérald Marie, avant de les rétablir quelques jours plus tard en portant plainte pour diffamation contre la BBC. Aujourd’hui 15 mannequins témoignent de faits similaires dans les colonnes de l’AFP, alourdissant un dossier déjà remplis d’accusations.
Des faits prescrits mais de nombreuses victimes
Malgré l’éventuelle prescription des faits, la plainte de Lisa Brinkworth aura eu un effet boule de neige sur les témoignages contre Gérald Marie. Plus d’une quinzaine de mannequins ont elles aussi porté plainte pour les mêmes accusations d’agressions sexuelles. L’une d’entre elles, la suédoise Ebba Karlsson, raconte le traumatisme qu’elle a vécu lorsqu’elle a rencontré pour la première fois Gérald Marie alors qu’elle avait 21 ans. « Si tu veux être célèbre, il faut que tu donnes de toi », lui a glissé le magnat de la mode. « En disant cela, il a mis sa main sous ma jupe et m’a pénétré le vagin avec ses doigts », déclare la top modèle aujourd’hui âgée de 51 ans. « Sur le moment, je me suis sentie décapitée. Mes forces se sont évanouies, j’étais pétrifiée, je ne savais plus quoi dire ni faire », poursuit-elle en larmes, devant les enquêteurs de la Brigade des mineurs. « Cela m’a pris des années pour guérir (…) et pour me sentir à nouveau en sécurité dans mon corps de femme. (…) Nous avons besoin de plus de femmes qui sortent du bois et aient le cran, le courage de prendre la parole (…) Nous sommes puissantes désormais. », affirme l’ancienne mannequin.
Face à ces accusations, l’avocate de Gérald Marie, Me Céline Bekerman, a indiqué à l’AFP : « Mon client dément avec consternation ces allégations mensongères et diffamatoires. Il réserve ses éventuelles déclarations aux autorités compétentes. ». Cinq autres ex-mannequins sont attendues la semaine prochaine pour témoigner à leur tour devant la Brigade des mineurs. Avec cette nouvelle vague d’accusations, les accusatrices espèrent aider d’autres femmes à parler et trouver des victimes dont les faits ne seraient pas prescrits. Pour l’instant Gérald Marie ne risque pas de procès aux vues des faits qui se sont déroulés entre 1980 et 1998.
En mai 2021, la mannequin Carré Otis s’était exprimée à la télévision australienne, revenant sur les agressions de Gérald Marie lorsqu’elle était mannequin. Un an plus tôt Lisa Evangelista, modèle star des années 90 et mariée à Gérald Marie aux moments des faits, a soutenu publiquement les victimes de l’ancien patron d’Elite dans un article du Guardian. « En les entendant maintenant, et en me basant sur mes propres expériences, je crois qu’elles disent la vérité », avait confié la mannequin canadienne, avant d’ajouter : « Cela me brise le cœur, car ce sont des blessures qui ne guérissent peut-être jamais, et j’admire leur courage et leur force de prendre la parole aujourd’hui ».
6 septembre 2021