Derrière l’image forte de Bella Hadid en train de se faire concevoir une robe en direct, se cache une certaine hypocrisie.
A moins d’être en déconnexion totale des réseaux sociaux, vous avez sûrement vu passer les images du dernier défilé Coperni. Alors que la Fashion Week parisienne s’apprête à célébrer ses derniers show jusqu’à mercredi, la marque a créé un buzz stratosphérique avec son final, où la mannequin Bella Hadid s’est faite vaporiser une robe à même le corps, grâce à une peinture qui se transforme en textile au contact de la peau. Mais au-delà de cette performance impressionnante, la marque n’est pas à la hauteur de ses discours engagés pour ce défilé nommé “Coperni Femme”, au singulier.
La femme-statue
Le final de Coperni fait explicitement écho au défilé Spring-Summer 1999 de McQueen, qui avait projeté de la peinture sur la robe de Shalom Harlow avec des machines. Cette fois, c’est le vêtement entier qui est créé. Si la performance et son résultat ont le mérite d’être impeccables visuellement, on se pose la question de l’objectification. Car c’est la mannequin Bella Hadid qui a porté cette robe finale sur son corps qui correspond parfaitement aux normes de l’industrie (minceur, grandeur, mais avec des formes), avec une gestuelle quasiment robotique tout au long de la performance. Difficile de ne pas ressentir de gêne face aux vidéos qui donnent l’impression d’une femme-statue aux proportions parfaites et qui se fait badigeonner de peinture, à une époque où on parle constamment d’inclusivité. Parce qu’en 2022, on sait que la mode pèse très lourd dans l’inconscient collectif, donc qu’il est essentiel qu’elle propose des représentations relatable et diversifiées pour toutes les femmes.
No shade sur Bella Hadid, qui a fait son travail et qui lance souvent des discussions importantes sur la santé mentale et la Palestine dans une industrie qui évite souvent de se politiser. C’est surtout la viralité du moment qui interroge : aurait-il été aussi célébré s’il avait été sur une modèle au corps moins conventionnel ? Avec le retour de la minceur sur les podiums (la faute à la popularité des années 2000), on dirait qu’une partie de la mode a zappé l’inclusivité.
Féminisme washing
Globalement, le défilé manque de diversité niveau morphologies : sur les 38 mannequins, seules deux sortent des normes minceurs de l’industrie, Paloma Elsesser et Jill Korteve. Et cette dernière fait une taille 40, inhabituelle sur les podiums mais pas dans la vraie vie, car la taille moyenne des françaises tourne autour du 40/42. Pourtant, comme l’a montré ANCRÉ, Coperni a publié une note signée des deux directeurs artistiques de la maison, quelques heures avant son défilé, célébrant “les femmes qui transcendent les morphologies” ou “qui acceptent de vieillir”. Mais elles sont quasi invisibles sur le runway.
Revendiquer publiquement des valeurs inclusives sans vraiment les appliquer est une pratique courante dans la mode. Elle s’apparente à du féminisme washing, a.k.a le fait de capitaliser (financièrement ou symboliquement) sur la hype autour du féminisme sans contribuer réellement à un vrai changement dans l’industrie. Et les présences de Paloma Elsesser et Jill Korteve, considérés comme modèle Plus Size, sont insuffisantes pour se réclamer inclusif.
La pression du buzz
Cet événement et le buzz qu’il a généré (le hashtag #sprayondress cumule plus de 3 millions de vues sur TikTok) illustrent bien les dynamiques actuelles de l’industrie. Face au nombre toujours grandissant de produits proposés pendant la Fashion Week, les marques ont intérêt à créer des moments viraux pour ne pas passer inaperçues. Surfer sur la hype de l’engagement est aussi un moyen utilisé par de nombreuses entreprises, notamment depuis que les réseaux sociaux ont popularisé les mouvements féministes, antiracistes etc. Le but de cet article n’est pas de shamer Coperni uniquement, qui est loin d’être seule dans cette pratique, mais de comprendre pourquoi la marque a procédé ainsi pour valoriser son évènement et comment cela représente les statu quo de la mode.
Les millions de likes qui ont suivi le défilé (l’insta de Coperni a même brièvement crashé) questionnent aussi sur les prises de consciences féministes des dernières années. On comprend l’émerveillement face au final du défilé, mais les commentaires cherchant à nuancer l’event ou à pointer ses contradictions sont quasi inexistants. Dommage, car une discussion autour de l’inclusivité performative est plus que nécessaire dans la mode. Les marques sont tellement sous pression pour faire le buzz qu’elles se concentrent peut-être trop sur l’avenir et l’innovation, et qu’elles oublient les enjeux majeurs de 2022 (impact social, représentation, écologie…). Des moments instagramables et ancrés dans les valeurs du présent : ça, ça serait inhabituel.
4 octobre 2022