Les casting de mode dans le viseur de l’Assemblée Nationale ?

L’affaire Judith Godrèche a fait un effet ricochet sur l’univers de la mode. Questionnant la place de l’enfant et des mineurs dans une industrie dirigée par des adultes et soumise à l’hypersexualisation grandissante.

Crédit photo : The Claws Models

En 1980, Calvin Klein enrôlait la jeune mannequin âgée de 15 ans Brooke Shield dans une publicité. Largement mineure, l’adolescente se retrouve sexualisée dans un spot qui fera date et qui créera largement la polémique à l’époque. Quarante ans plus tard, l’industrie de la mode s’est vue réguler par des lois notamment en France qui encadre le travail des mineurs. Une convention collective existe bien mais comme le rappelle Perrine Goulet, Députée Modem de la 1ère circonscription de la Nièvre, Présidente de la délégation parlementaire aux droits des Enfants, elle n’encadre que les questions liées au salaire pour les modèles de moins de 16 ans. L’affaire Judith Godrèche qui accuse le réalisateur Jacques Doillon, de l’avoir agressée sexuellement sur le tournage de « La Fille de 15 ans », sorti en 1989, alors qu’elle n’avait que 14 ans, a poussé plusieurs députés à vouloir encadrer davantage le travail des mineurs sur les plateaux de cinéma mais aussi dans le mode. Une résolution allant dans ce sens vient d’être proposée à l’Assemblée Nationale. Elle dit en partie ceci :

“Le cinéma n’est pas la seule industrie liée au monde de la culture qui soit concernée. D’autres accusations de violences sexuelles sur mineurs visent par exemple le spectacle vivant, en premier lieu le théâtre et la musique qui ont vu émerger les mouvements #Metoothéâtre et #Musictoo ; mais aussi l’industrie de la mode. La place de l’enfant, le rapport à l’image et à son corps, et le rapport entre l’enfant et les adultes sont des caractéristiques communes à l’ensemble de ces industries où les enfants peuvent être exposés aux mêmes dangers.Outre les violences sexuelles, la question de la protection des enfants qui travaillent sur des plateaux de tournage, qui défilent et posent pour des magazines ou qui se produisent sur scène aux côtés d’adultes se pose. Il est nécessaire de s’assurer de leur protection de toutes formes d’abus, qu’ils soient sexuels, physiques ou psychologiques”.

ANCRÉ : Tout d’abord pouvez-vous nous expliquer ce qu’est une résolution (à la différence d’une loi)? 

Perrine Goulet, Députée Modem de la 1ère circonscription de la Nièvre, Présidente de la délégation parlementaire aux droits des Enfants et co-signataire de la proposition de résolution : Contrairement à une loi, une résolution n’a pas de valeur contraignante. La loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 a introduit dans la Constitution l’article 34-1 qui autorise les assemblées à voter des résolutions. Une résolution est un acte par lequel l’Assemblée émet un avis sur une question déterminée.

Des lois encadrent déjà le travail des mineurs dans le milieu de la mode, du cinéma ou encore de la musique. Que proposera de nouveau votre résolution ? 

Le Chapitre IV du code du travail prévoit déjà une partie sur le travail des enfants dans le spectacle, les professions ambulantes, l’audiovisuel, la publicité et la mode (Articles L7124-1 à L7124-35), mais il n’est pas assez précis. La proposition de résolution de Francesca Pasquini, que j’ai co-signée, propose la création d’une commission d’enquête pour évaluer la situation des mineurs travaillant dans les industries du cinéma, du spectacle vivant et de la mode, identifier les mécanismes et les défaillances permettant d’éventuels abus et violences sur ces enfants, et établir les responsabilités de chaque acteur en la matière. Des recommandations seront émises une fois la commission d’enquête créée.

Vous souhaitez créer une commission d’enquête composée de 30 membres. Qui seront ces 30 membres ?

À ce jour, les noms des 30 membres de la commission d’enquête ne sont pas encore connus. Pour constituer une commission d’enquête, il faut que la proposition de résolution soit votée. La PPR sera discutée en commission avant d’être soumise au vote le 2 mai 2024. Si elle est adoptée le 2 mai, chaque groupe, proportionnellement à leur représentativité, nommera les députés qui siégeront dans cette commission d’enquête.

Comment s’effectueront ces contrôles ? Quelles actions concrètes souhaitez-vous mettre en place sur le terrain ?

Il est nécessaire de mettre en place des actions de prévention pour informer les jeunes des comportements acceptables. Il pourrait être envisagé d’impliquer davantage les familles lors des castings, de nommer des référents ou coordinateurs d’intimité pour expliquer les choses aux enfants, de définir des formations et des obligations de respect de ses formations pour travailler avec les enfants… La commission d’enquête permettra de définir un cadre plus précis sur les pratiques dans le milieu.

À chaque Fashion Week de Paris c’est plus d’une centaine de défilés qui a lieu, entre le calendrier officiel de la Fédération de la Mode et ceux en dehors. Comment pensez-vous réussir à encadrer d’aussi importants événements ? 

Pour encadrer avec succès les nombreux défilés qui ont lieu lors de chaque Fashion Week de Paris, il faut déjà revoir les conventions collectives existantes, et effet il existe des conventions depuis 2004, et bien qu’elles aient subi des modifications en 2012 et 2023, celles-ci se concentrent principalement sur les questions de rémunération. Il est donc nécessaire de revoir ces conventions pour les adapter aux enjeux actuels et assurer une protection adéquate des mineurs. (Convention collective nationale des mannequins adultes et mannequins enfants de moins de 16 ans employés par les agences de mannequins du 22 juin 2004. Étendu par arrêté du 13 avril 2005 JORF 27 avril 2005)

Vogue Paris a lancé un concours de mannequins qui s’adresse aux filles âgées de plus de 16 ans et moins de 25 ans, preuve que le monde de la mode mise et idolâtre les jeunes filles mineures. Beaucoup de mannequins sont repérées alors qu’elles sont mineures. Cela devrait-il être davantage encadré ? 

L’embauche de mineurs pour promouvoir des vêtements appropriés à leur âge pourrait être acceptable. Cependant, les problèmes liés aux réseaux sociaux, à l’hypersexualisation et à l’exposition excessive nécessitent un encadrement plus précis pour éviter les abus. Les auditions peuvent aider à harmoniser les règles selon les agences.

Visez-vous à l’avenir à encadrer par une nouvelle loi le travail des mineurs dans l’industrie de la mode et du cinéma ? Si oui quelles problématiques vous semblent aujourd’hui les plus importantes ? 

Peut-être pourra t-il être pertinent de s’interroger sur les dispositions spécifiques aux mineurs qui évoluent dans ces secteurs. Et là, une évolution législative pourrait être pertinent. Mais c’est là tout le travail de la commission d’enquête.

1 avril 2024

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