À l’occasion du lancement d’une nouvelle capsule imaginée pour la marque de lingerie inclusive Sans Complexe, nous avons rencontré la championne olympique Romane Dicko, non pas pour parler kimono et tatami mais bien lingerie, féminité, et confiance en soi.
Crédit photo : Pete Casta pour ANCRÉ
“Le but de cette collaboration, c’est vraiment de représenter toutes les femmes, tous les corps. C’est vraiment ma ligne conductrice, car moi, je suis plus size, je suis musclée, je fais du judo, et je n’ai pas la morphologie à laquelle on s’attend quand on parle lingerie.” Elle-même vêtue de son propre body monogrammé RD, Romane Dicko revient sur une collaboration inattendue, la deuxième en deux ans, avec la marque Sans Complexe, une enseigne de lingerie aux bonnets de soutien-gorges allant jusqu’au J.
Déjà invitée à créer un ensemble lors d’une carte blanche accordée à des sportives de haut niveau, la jeune femme a été rappelée, cette année pour donner vie à trois pièces noires, entre sous-vêtements et bodywear. “Il y a le body, il y a les manches simples toutes seules. Il y a aussi un caraco et une culotte, énumère la championne, À part la culotte, je voulais vraiment penser à des pièces qu’on puisse aussi mettre dehors. Il y a des découpes, de la transparence, du décolleté… C’est important pour moi : je ne veux plus qu’on se cache. Trop longtemps, les corps qui ne ressemblaient pas à la norme imposée par la mode ont été poussés à se couvrir. La volonté de cette collection, c’était au contraire, de les mettre en valeur.”
Façonner son propre modèle
Il faut dire que si la société a encouragé la jeune Romane à se dissimuler, elle, n’en a jamais vraiment eu trop envie. Celle que l’on suit sur ses réseaux aussi bien pour ses performances sportives que pour ses créations vestimentaires l’avoue : “Ce que je couds, c’est soit court, soit moulant, soit les deux, s’amuse-t-elle, J’ai d’ailleurs commencé à coudre mes propres vêtements pour ça. J’avais envie de robes sexy pour des évènements et je n’en trouvais pas qui m’allaient. Quand tu fais du 48, du 50, ce qu’on te propose, c’est soit des trucs vieillots, soit des trucs super chers, ou soit, au contraire, de la qualité médiocre super cheap. Je voudrais proposer autre chose.”
Un problème qui ne concerne pas que Romane Dicko, mais de nombreuses femmes, auxquelles la judokate a voulu proposer des alternatives en collaborant avec Sans Complexe. “Le fait de pouvoir travailler avec une marque qui met ces corps en avant, qui les valorise et qui n’a pas peur de faire de la lingerie pour tout le monde, c’était important pour moi,” résume-t-elle. Il faut dire que la marque, créée en 1963, s’est rapidement illustrée par son inclusivité, tant sur les tailles (ils vont jusqu’au bonnet J, sans distinction de prix) que sur les modèles proposés, adaptés aussi bien aux fortes qu’aux petites poitrines, mais aussi aux mères allaitantes ou aux personnes ayant subi des mastectomies avec leur ligne post-opératoire.
Muscles et féminité
Si aujourd’hui Romane Dicko transpire la confiance en elle, la sportive nous le confesse : conjuguer sa féminité, sa silhouette et son goût pour la performance n’a pas toujours été facile. “Plus jeune, je ne voyais pas de gens comme moi dans des espaces dits “féminins”, se souvient-elle, Quand on pense féminité, on pense robe légère ou moulante, mini-jupe, lingerie… Et à la télé ou dans les médias, celles qui portaient tout ça, elles n’avaient jamais le même corps que moi. Donc forcément, c’est compliqué quand tu es jeune et que tu te construis dans un corps qui n’est pas comme celui des modèles féminins médiatiques.”
En effet, quand elles ne sont pas filiformes, les mannequins, même sportives, ne ressemblent en effet ni à Romane Dicko, ni à ses copines. “Lorsqu’on valorise les corps musclés, cela passe par les fesses, les cuisses, le ventre. Jamais les bras, les épaules, le dos : tout de suite, on associe ça au masculin. Le corps musclé est absent de partout. Alors du monde de la mode, ou de la lingerie… N’en parlons pas ! La chance que j’ai eu, moi, c’est qu’en intégrant rapidement le haut niveau dans le sport, j’ai très vite été entourée de filles qui me ressemblaient, qui avaient ce sentiment d’être en marge. On souffrait ensemble, mais au moins on était solidaires.”
Aujourd’hui âgée de 26 ans, la sportive l’avoue : sa confiance en elle est venue avec la maturité. “Combien de fois on a mis des choses larges parce qu’on voulait cacher nos muscles ? Tu as l’impression que dans une brassière, ton muscle, il est OK, mais dès que tu mets une robe de soirée, là, c’est plus dérangeant. Combien de fois, avec ma meilleure amie, on nous a dévisagé en vacances parce qu’on était super musclées ?, questionne Romane Dicko, Pour moi, ça, c’est des choses qu’il faut casser. Ça crée des complexes, ça met les gens dans des cases et surtout, ça nous invisibilise. Et aujourd’hui, on a toutes le droit d’exister : qu’on soit musclées, plus size, très minces… On est là”.
Si elle et ses copines n’ont pas eu de modèles dans les pages des magazines étant plus jeunes, qu’à cela ne tienne : Romane Dicko sera celui de toute une jeune génération de filles robustes et puissantes, qui veulent se sentir aussi fortes que sexy. “Si j’ai envie de mettre du moulant, j’ai le droit, même si mes bras sont musclés. Et surtout, j’ai le droit de me sentir à l’aise en le faisant. En cousant mes propres vêtements, je me suis enfin trouvée belle, parce que les pièces étaient parfaitement adaptées à moi. Ça m’a permis de me réapproprier mon corps et même de revendiquer mon goût pour le féminin, le sexy. Aujourd’hui, j’ai envie de montrer aux gens qui me suivent que c’est possible, qu’on peut mettre du moulant, du court, du transparent, du sexy et que ça nous va tout aussi bien qu’à une autre.”
Plus belle, plus forte
En assumant pleinement ses goûts, Romane Dicko a remarqué que cela rejaillissait sur ses performances. “Si tu es bien dans ton corps, dans ta tête, si tu te sens à l’aise, alignée avec toi-même, ça a des répercussions. Mieux je me sens, plus je suis forte,” assure la judokate. “En créant cette collection, je voulais quelque chose qui soit certes, esthétique, mais aussi très confortable,” explique-t-elle. Inspirée par ses expériences en combat ou en entraînement, Romane Dicko nous détaille cette nécessité : “Sur un tatami, porter de la lingerie, c’est compliqué. En tout cas, ce n’est jamais quelque chose de mis en avant. C’est vraiment le confort qui compte, et c’est aussi ce qui m’a guidé dans la création de ces pièces. La lingerie, c’est la première couche que l’on met sur la peau, et même lorsqu’elle ne se voit pas, elle se sent. Je pense que c’est vraiment important d’être bien dans son corps, bien dans sa tête et bien dans ses vêtements. Et ça, qu’on le veuille ou non, ça passe par la lingerie.”
Alors quand le confort rencontre le style, Romane Dicko ne peut qu’être ravie. “Quand je suis “au travail”, je suis en kimono, dans un monde hyper strict, hyper normé. C’est difficile de s’exprimer, et notamment d’exprimer ma féminité sur le tatami, rappelle la championne du monde 2022, Quand je ne suis pas au travail, j’ai envie de faire parler l’autre partie de moi, donc la partie plus sexy, la partie plus féminine, donc le moulant, le court et les paillettes. Pourtant, je suis la même personne, que ce soit sur le tatami ou en dehors. Alors plus je suis alignée avec toutes les facettes de ma personnalité, meilleure je serai sur le tatami.”
Difficile pourtant d’exprimer sa personnalité dans un sport où pudeur et uniformité sont de mise. “Mon sport, qui vient du Japon, est très cadré. Il n’y a pas beaucoup de place pour l’expression de soi, pour revendiquer quoi que ce soit. Moi, je suis une fille hyper joviale, et c’est difficile de le montrer sur un tatami,” se désole Romane Dicko. Mais pour montrer un échantillon de sa personnalité, la sportive a trouvé une parade, inspirée de ses aînées, les soeurs Williams : “Comme on ne peut même pas se maquiller, j’ai fait de mes cheveux ma signature en compétition, s’amuse notre interlocutrice, Quand je suis en combat, j’ai mes tresses blanche, ou bleu/blanc/rouge. C’est ma façon à moi de dire qui je suis, malgré l’uniforme. Et si je me sens moi-même, je me sens puissante !”.
9 octobre 2025