Pour les vingt ans d’American Vintage, on a rencontré Michael Azoulay, son fondateur et PDG qui est revenu sur une aventure hors du commun, entre ancrage profond et secteur en pleine mutation.

À l’heure où les marques de prêt-à-porter françaises tombent comme des mouches, l’une d’entre elles ne s’est jamais aussi bien portée. Si son nom n’a pas grand chose de français, son ancrage, lui, est définitivement marseillais : American Vintage, fondé en 2005 par Michael Azoulay, prend sa source entre les calanques et le Panier, et a récemment réquisitionné le Mucem pour y célébrer ses 20 ans. Retour sur une marque qui mène sa barque sereinement, malgré les tempêtes SHEIN et autres crises du secteur.
La plus américaine des Marseillaises
138 boutiques, 34 corners, 21 outlets, 19 points de vente affiliés, 1500 revendeurs et une présence dans 20 pays. Peu de marques françaises peuvent aujourd’hui se vanter d’un tel palmarès. Et pourtant, c’est aussi serein que fier de son parcours que Michael Azoulay, fondateur et PDG d’American Vintage, nous reçoit, dans son emblématique boutique de la rue Davso, à Marseille. “La marque est née il y a 20 ans. Ce soir, on fête ses 20 ans, s’émeut l’homme d’affaires, Quand on a commencé, on était moins de 5 salariés. Vingt ans après, c’est une boîte de plus de 1000 collaborateurs, qui est présente sur 3 continents, qui n’est pas loin des 300 points de vente… Elle a grandi à Marseille, mais aujourd’hui, on peut dire que c’est une entreprise internationale.”

Crédit photo : American Vintage
Il faut dire qu’avec un nom pareil, la marque qui a commencé en monoproduit avec le t-shirt, était destinée à conquérir l’étranger. “A partir de 2003, j’ai commencé à voyager aux Etats-Unis, et ça m’a beaucoup inspiré, nous confie Michael Azoulay, Ça m’a permis de voir les choses différemment, d’être un peu moins marseillais, d’oser voir les choses en grand, de voir que tout peut aller très vite, d’oser. Je pense que c’était des choses qui étaient en sommeil chez moi, que les Etats-Unis ont révélées.” Alors quand on lui demande ce qu’il y a d’américain dans American Vintage, le PDG nous répond du tac au tac, sourire aux lèvres : “L’énergie”.
Une énergie qui émane des couleurs vibrantes des mailles de la boutique, comme de ses nouvelles collections, hommes et enfants. Une façon pour la marque de se renouveler et de continuer d’exister dans un secteur en crise. “Aujourd’hui, on propose des collections beaucoup plus complètes. Notre ADN reste les matières, les couleurs, le t-shirt et la maille, mais à côté de ça, en vingt ans, on a développé de nouvelles familles de produits, notamment le denim. Récemment, on a lancé une gamme sport, mais plus largement, alors qu’on a commencé avec la femme, on s’est aussi lancé dans l’homme et l’enfant”, résume le PDG. L’ambition ? Devenir une marque omnicanale, où toute la famille s’habille. Une stratégie que d’autres marques ont adoptée ces dernières années et qui s’est, pour la plupart, avérée payante.

“Aujourd’hui, je ne parlais plus d’une cliente type, mais d’une famille type, précise d’ailleurs le fondateur, La famille qui s’habille chez American Vintage, c’est une famille qui a besoin de liberté, d’espace, qui est sensible aux matières, aux couleurs et aussi à la mode. Elle n’aime pas être dans des cases, elle aime s’amuser. Ce sont des esthètes”. Miser sur la famille, est-ce le secret de la longévité ? Avec 200 millions d’euros de ventes en 2024, et une hausse d’environ 20% par rapport à 2023, pas de doute, Michael Azoulay et ses équipes semblent avoir trouvé la recette.
Un positionnement payant
Difficile de ne pas se poser la question : mais comment donc cette entreprise marseillaise résiste-t-elle à la tempête qui secoue actuellement le secteur du prêt-à-porter ? “Quand j’ai créé American Vintage, c’était dur. Parce qu’on démarrait, parce qu’on commençait à peine l’ère d’internet, parce qu’on faisait beaucoup de route pour aller visiter les clients, parce qu’on était pas localisé à Paris et qu’à l’époque, Paris était incontournable dans le monde de la mode et de la presse, rappelle Michael Azoulay, Aujourd’hui, je ne dis pas que c’est plus facile, et c’est indéniable que le monde a changé. Mais on a toujours eu des challenges à relever, et on a toujours tout fait pour les relever.”

Crédit photo : Nicholai Fischer
Un, en particulier, est dans toutes les bouches du pays, notamment depuis son arrivée au BHV Marais : SHEIN. “On a toujours eu d’énormes concurrents, quand ce n’était pas SHEIN, c’était le groupe Inditex, H&M, etc. Je pense que ce qui nous a permis de faire preuve de résilience durant toutes ces années, c’est le focus du produit, le fait de construire une marque concept avec une idée forte, de la faire évoluer constamment, d’être tout le temps en mouvement. De respecter nos valeurs familiales, d’accepter le temps et d’avoir toujours faim, de s’ouvrir à tous les canaux,” analyse notre interlocuteur.
Si l’ultra-fast-fashion ne l’inquiète pas, un évènement a pourtant réussi à ébranler le roc qu’est Michael Azoulay : “Au début du Covid, on croyait qu’on allait mourir, avoue-t-il, Là, tu n’as pas d’autres choix que de te poser plein de questions. Tu fais le bilan sur les quinze dernières années et tu te dis, « c’est pas possible, on va tout perdre ». Et finalement, non. Ça a été une expérience, ça nous a poussé à être plus créatifs, à analyser, et à sortir de notre zone de confort.”

Et alors qu’aujourd’hui, le secteur ne compte plus ses fermetures de boutique en France, le dirigeant de 46 ans tire le bilan : “Je pense que les boîtes qui s’en sortent le mieux aujourd’hui, sont celles qui sont vraiment plus diversifiées en termes d’offres de produits, de clientèle, d’expositions sur différents pays. En tout cas, nous, ce sont ces facteurs là qui nous ont aidé. Chez American Vintage, on est dans une segmentation contemporaine : on n’est pas les moins chers du marché, on n’est pas les plus chers non plus. Il faut toujours être juste, être accessible, compétitif et en même temps créatif. Notre cible de clients, elle existe, mais pour qu’elle soit la plus grande possible, il faut avoir une vision à l’échelle planétaire, au minimum européenne. Marseille ou la France, ce n’est pas le centre du monde.”
Évoluer, sans trop changer
Connaître sa cible, où qu’elle soit dans le monde : voilà la stratégie adoptée par American Vintage. “Les clients American Vintage ont de la personnalité, se félicite Michael Azoulay, Et nous, notre but, c’est de les aider à l’exprimer. Notre marque, à l’image de nos clients, elle est cosmopolite, elle est internationale. On travaille très bien en Asie, en Chine, on travaille très bien en Allemagne, et en même temps à Marseille ou à Paris. On n’est pas enfermé dans une typologie.” En effet, alors que d’autres mettent la clé sous la porte, la marque provençale ne compte plus ses futures inaugurations en dehors du sol français. Neuf sont prévues en Chine, trois aux Etats Unis, une au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Espagne… C’est simple : American Vintage est partout. Mais ne renie jamais, ô grand jamais, son Marseille d’origine. “Marseille est une terre d’accueil, où les gens peuvent facilement se sentir bien, vivre, être heureux, être en sécurité, capable d’accueillir des business avec des infrastructures en capacité de répondre à des besoins d’entreprise. C’est aussi une terre qui accueille et va accueillir de plus en plus de touristes”.
Une identité sudiste qui colle à la peau du patron, qui propose, peu importe les pays dans lesquels il implante son entreprise, toujours la même identité. Quitte à risquer de se priver d’une clientèle ? En effet, la marque, aussi avant-gardiste soit-elle, a peut-être raté le coche de l’inclusivité. Ne proposant que très peu de produits en XL ou en XXL (seulement quatre sur le site à l’heure où on écrit cet article), American Vintage ne met aucun pantalon en vente au-delà du L, qui, d’après le site de l’enseigne, correspond à un 40.

Pour rappel, d’après l’Institut français du textile et de l’habillement (IFTH), la taille moyenne portée par les femmes en France est le 40, 42 quand seulement 5% des Françaises portent un 36. Pour Michael Azoulay, ce manque de diversité dans les tailles correspond d’abord à une demande. “On pourrait être amené à avoir des tailles supplémentaires si un besoin était exprimé. Pour le moment, ce n’est pas d’actualité, parce qu’on a pas eu de demandes particulières. En tout cas sur nos produits phares, je pense qu’on répond pas mal. Dans la maille par exemple, on n’est pas réputé pour avoir un produit assez fit, assez slim. On est déjà un peu dans l’oversize, donc ça nous permet de toucher un public assez varié.”
Pour lui, l’essentiel est d’être au service d’une clientèle déjà fidèle, pas nécessairement d’aller en cibler une autre, nous explique-t-il avec une honnêteté désarmante. Rendez-vous dans vingt ans, toujours en aussi bonne forme, pour en rediscuter ?
13 novembre 2025