Engagé par adidas dans le cadre d’une collection capsule, le créateur Willy Chavarria s’est vu accusé d’appropriation culturelle par l’État d’Oaxaca. D’origine mexicaine par son père, le styliste soulève une question : est-on exempté d’exotisme quand soi-même on appartient à une communauté ?
“Je regrette profondément que ce modèle se soit approprié le nom et n’ait pas été développé en partenariat direct et significatif avec les habitants d’Oaxaca”. Ce samedi 9 août, Willy Chavarria a reconnu une appropriation culturelle au sujet de ses sandales “Oaxaca Slip-On” imaginées pour l’équipementier allemand. Cette chaussure, associant le tressage en cuir typique des huaraches de Villa Hidalgo Yalálag à une semelle de sneaker, a été dévoilée au Musée d’art de Porto Rico le week-end dernier et arbore le nom de l’État sans y être autorisée. De quoi déclencher la colère du pays. “Elle rend invisibles les véritables créateurs du patrimoine culturel et reproduit les dynamiques historiques de dépossession”, s’est insurgée La Secretaría de las Culturas y Artes de Oaxaca (Sepulta), qui a qualifié la commercialisation de violation des droits collectifs, exigeant l’arrêt immédiat de la vente ainsi que la reconnaissance publique de l’origine du design et la réparation des dommages subis par la communauté.
Apprécier n’est pas s’approprier
Inspiré par la culture chicano (terme péjoratif repris par les Mexicains vivant aux États-Unis pour se revendiquer, hérité du mouvement des droits civiques américains, ndlr), Willy Chavarria est un designer américain né d’une mère irlando-américaine et d’un père d’origine mexicaine. Un lien avec le pays qui n’a visiblement pas suffit. Car même même en étant racisé on peut se tromper entre appréciation et appropriation. “Mon intention a toujours été de rendre hommage au puissant esprit culturel et artistique d’Oaxaca et de ses communautés créatives, un lieu dont la beauté et la résistance m’ont inspiré”, avoue le designer dans les colonnes de WWD, reconnaissant que “le nom « Oaxaca » n’est pas qu’un mot, c’est une culture vivante, un peuple et une histoire. Cela ne reflète pas le respect et l’approche collaborative qu’Oaxaca, la communauté zapotèque de Villa Hidalgo Yalalag et ses habitants méritent. Je sais que l’amour ne se donne pas, il se gagne par l’action.”
👟¿Inspiración o apropiación? 🧐
— PeriodiCASO (@periodicaso_) August 7, 2025
El gobierno de #Oaxaca exigió a Adidas 🏷️ suspender la venta del modelo “#OaxacaSlipOn” por presunto plagio de huaraches tradicionales zapotecos 👣 de Villa Hidalgo #Yalalag.
🎨 La @SECULTA_GobOax acusa a la marca y al diseñador Willy Chavarría. pic.twitter.com/G7ZTWl0Gmn
Une dernière phrase qui insiste sur une chose : le respect d’une population, d’un pays, d’une culture n’est pas innée simplement parce qu’on a des origines qui créent du lien. Car, comme le rappelle Khemaïs Ben Lakhdar, auteur de “L’appropriation culturelle : Histoire, domination et création : aux origines d’un pillage occidental”, l’appropriation, c’est avant tout une histoire de domination : “On parle d’un mécanisme de prédation de la culture dans lequel un groupe dominant va se saisir d’un objet, d’un vêtement, d’un discours, d’un symbole d’un groupe minoritaire en le décontextualisant, en l’appauvrissant, mais surtout en le resémantisant principalement à des fins capitalistes tout en perpétrant le plus souvent des stéréotypes issus du colonialisme. »
En s’associant avec l’un des géants du monde du sport, le designer (encore une fois, né aux États-Unis) est dans une position de force. Même lorsqu’il ne s’en rend pas compte. Si lui assure chercher à célébrer, à mettre en lumière, il utilise en réalité des éléments culturels à des fins commerciales, mis au service d’une multinationale. Un fait résumé par le journaliste Frank Rojas dans le LA Times : “Cette réaction négative a soulevé des questions sur qui profite de la culture mexicaine et indigène et qui en est exclu. Bien que le design s’inspire des huaraches traditionnelles fabriquées dans les communautés indigènes d’Oaxaca, les critiques affirment qu’il n’y a eu aucun mérite ni aucun bénéfice pour ceux qui perpétuent cet artisanat ; on a l’impression qu’une marque mondiale prend sans rien donner en retour.”
De son côté, adidas aurait contacté les autorités d’Oaxaca afin de mettre en place une indemnisation. Selon un communiqué, “la marque reconnaît la propriété culturelle des populations autochtones du Mexique”.
Le ras-le-bol du Mexique
Ce n’est pas la première fois que le Mexique hausse le ton face à des grandes entreprises qui s’inspirent un peu trop des designs. En 2019, les autorités avaient reproché à la créatrice de mode vénézuélienne Carolina Herrera d’avoir copié des broderies colorées issues de la communauté de Tenango. En 2020, la Ministre mexicaine de la Culture de l’époque, Alejandra Frausto, a interpellé la créatrice française Isabel Marant pour avoir présenté des capes à 490 euros ornées de motifs similaires à ceux des Purépechas, une communauté autochtone de l’État du Michoacán. Sous la pression, la créatrice avait finalement présenté ses excuses en rappelant son souhait de “valoriser et mettre en valeur” le mélange culturel. Rappelons qu’en 2015, Isabel Marant avait déjà été pointée du doigt pour des faits similaires.
Crédit photo : à gauche, Isabel Marant / à droite, Culturas Populares Secretaría de Cultura
Un an plus tard, la même ministre s’attaquait à Zara, Anthropologie et Patowl, accusés d’avoir repris des motifs issus de communautés indigènes de l’État d’Oaxaca sans offrir de compensation financière. En 2023, SHEIN était pointé du doigt pour avoir vendu “des vêtements comportant des éléments distinctifs et caractéristiques de la culture et de l’identité du peuple nahua”, selon un communiqué du ministère mexicain de la Culture.
Une façon pour le pays de continuer de résister à l’oppression de la culture dominante. Alors que la mode emprunte (pour ne pas dire vole) des motifs présentés comme purement esthétiques, le Mexique tient à rappeler que derrière chaque dessin se cache une histoire : celle d’un peuple colonisé, dont l’histoire ne sera jamais exploitée à des fins commerciales.
13 août 2025