Love is Blind France a changé la donne pour la représentation des asiatiques à la télévision

On s’est entretenus avec Chloé et Van My, deux candidats de la première saison de “Pour le meilleur et à l’aveugle” (ou Love is Blind) d’origine vietnamienne, qui sont revenus sur leur aventure, entre fierté de représenter leur communauté et peur des stéréotypes.

Crédits photo : shootbykalliope

“Petite, je voyais très peu d’Asiatiques à la télé, se souvient Chloé, 32 ans, qui a récemment participé à la première saison de Love is Blind France, À part Jackie Chan et Lucy Liu, du côté américain, en France, que ce soit au cinéma ou dans les programmes de divertissement, il n’y avait pas grand-chose. Peut-être Marjolaine, de l’émission Greg le millionnaire, mais elle performait un stéréotype hyper sexualisé”. Effectivement : si la télévision reste majoritairement blanche, les chiffres dégringolent quand ils zooment sur les communautés asiatiques, largement sous-représentées sur le petit-écran. En 2019, Géraldine Van Hille, cheffe du département Cohésion sociale au CSA (France), a présenté le Baromètre de la diversité du CSA. Et si les statistiques ethniques sont interdites chez nous, elle a quand même soulevé que “le niveau d’ethnicité à l’écran reste inférieur à 17 % et les personnages non-blancs qui s’expriment à l’antenne sont surtout des personnages secondaires”.

Dans son livre, “Pour devenir qui je suis”, le YouTubeur Sam Zirah a recensé les chiffres de la diversité dans le domaine de la télé-réalité, et a noté que les personnalités LGBTQIA+, noires et asiatiques ne représentent que jusqu’à 0,08% sur la chaîne W9, principal canal de la télé-réalité en France. Et du côté des Etats-Unis, à la télévision, 70% des personnages récurrents sont blancs alors que seuls 4% d’entre eux étaient asiatiques en 2017. Pas étonnant que Chloé ait du mal à trouver des exemples de stars de la télévision lui ressemblant…

Une représentation aussi rare que stéréotypée

Alors quand Chloé passe les castings, difficile de ne pas être anxieuse : pourquoi choisir une Asiatique ? Est-ce pour remplir un quota ? Est-ce pour véhiculer une image clichée ? Est-ce pour se moquer ? “J’avais peur d’être la seule Asiatique, de représenter cette part d’exotisme, nous avoue-t-elle avant d’être rejointe par Van My, 33 ans, Quand ils m’ont casté, ma sœur m’a dit : “Ils t’ont pris parce que tu représentes quelque chose qu’ils n’ont pas encore.” Il faut dire que, même avec le peu de représentation de personnes asiatiques dans l’univers de la télé-réalité, ces dernières sont systématiquement renvoyées à un cliché. Qu’il soit hypersexualisant pour les femmes, de Marjolaine à Yumee, ex-tentatrice de l’Île de la Tentation, ou, au contraire, véhiculant un stéréotype beaucoup moins sexy pour les hommes, qui seraient timides et très sérieux, à l’image de Dukhwan Kim, candidat coréen de la Nouvelle Star en 2016, victime de racisme par le jury de l’époque.

“Il y a cette idée reçue que l’homme asiatique est très réservé, que c’est un geek, qui porte des lunettes, qui n’est jamais le plus séduisant ou le plus fashion,” confirme Van My, qui avoue avoir eu peur que ses origines ne le desservent dans sa démarche de trouver l’amour. “Même dans une expérience à l’aveugle, mon prénom révèle mes origines, et peut encourager la projection. Ça a été une de mes craintes de me dire que peut-être les personnes en face auraient pu s’imaginer tout un univers de stéréotypes.”

Crédit photo : Netflix

Une vision essentialisante probablement à l’origine des biais de Sabrina, match de Van My, qui a avoué plusieurs fois ne pas être attirée par « le type asiatique », comme si il n’existait qu’un physique venu d’Asie. Cette ribambelle de clichés, c’est d’ailleurs l’une des raisons qui a découragé Chloé à révéler ses origines à sa connexion, Alexandre. “Souvent, dans mes relations ou même avant mes relations, je suis perçue comme une Asiate, qui est belle, qui est exotique. On m’a souvent perçu comme quelque chose de rare. Il y a cette image un peu plus séductrice, on a tout de suite envie d’aller vers l’inconnu. En faisant cette expérience, j’avais envie qu’on me connaisse pour ce que je suis vraiment. Je voulais me protéger de tout cet imaginaire exotisant.” 

Crédit photo : Netflix

Si Van My était le seul homme de sa communauté, les femmes, elles, étaient beaucoup plus nombreuses à avoir probablement ressenti les mêmes craintes. En effet, qu’elle ne fut pas la surprise de la jeune kiné quand elle se rendit compte qu’elle était loin d’être la seule femme de sa communauté à avoir été sélectionnée par la production pour participer à l’émission. Avec quatre femmes d’origine vietnamienne, mais aussi des candidates noires, maghrébines, métissées, blanches, jamais, en France, un casting de télé-réalité n’avait été aussi divers. De quoi soulager Chloé : “Comme j’ai été castée vers la fin, je me suis dit qu’ils n’ont pas assez de personnes. J’étais sûre que je serai la seule. Et quand j’ai vu qu’on était quatre, j’étais trop contente ! Je ne m’y attendais pas. Directement, on s’est rapprochées dans le salon des femmes (avec Kim, Julie et Alice, ndlr), on se disait “c’est la Asian Team”, parce qu’avoir grandi avec la même culture, ça rapproche.” 

Julie candidate de Love is Blind France
Crédit photo : Netflix

Si dans les amitiés, l’expérience de la culture commune soude, qu’en est-il des histoires d’amour ? “Moi, je trouve que la mixité, c’est quand même une richesse. Aujourd’hui, on est né dans un pays où il y a beaucoup d’enfants d’immigrés, finalement. Et là, je vois ça comme une richesse,” rappelle Van My, qui a matché avec Sabrina, candidate d’origine maghrébine. Une affirmation avec laquelle Chloé ne pourrait pas être plus d’accord, et qu’elle relie aussi à la production de Love is Blind : “Ce qui a séduit dans le casting, je pense, c’est justement cette mixité. C’est ça la France. J’ai l’impression que c’est presque la première fois qu’il y a une émission où on propose une représentation un peu plus réelle de ce qu’est la France d’aujourd’hui. Et ce qui est fou, c’est que non seulement pour une fois les personnes asiatiques ont été super représentées, mais qu’à la fin, on était dans chacun des couples ! Et je suis contente que ça n’ait pas vraiment été un sujet après la diffusion. Parce que je ne vais pas mentir, j’avais peur de tomber sur des commentaires du style : “Ce n’est pas Love is Blind France, c’est Love is Blind China”. Peut être que ça a été dit d’ailleurs, mais en tout cas, ça n’a pas été suffisamment majoritaire pour que ça remonte.”

La peur de trahir sa communauté

Comment profiter pleinement de son expérience avec une telle pression : celle de ne pas trahir les siens, ni de se trahir soi-même, surtout quand on grandit avec ce poids implicite de correspondre aux attentes irréalistes portées sur une communauté ? “Avec les personnes asiatiques, il y a ce truc du “bon immigré”, celui dont on aime bien se moquer. C’est rigolo de faire des blagues, parce que ce n’est jamais complètement haineux. C’est des yeux tirés, des clichés en veux-tu, en voilà, ce ne sont pas nécessairement des insultes, détaille Chloé, Mais nous vivons avec cet espèce de racisme banalisé qui, en plus d’être blessant, met aussi la pression. Il faut être bon en maths, parce qu’après tout, tous les Asiates sont bons en maths, non ?” .

Un constat qui a aussi guidé le comportement des deux candidats dans l’émission.  “J’avais envie de bien me comporter de manière générale, poursuit Chloé, Mais c’est vrai que j’avais ce désir de montrer autre chose de nous, les Asiatiques. Quelque chose de plus punchy, de montrer qu’on est cool quoi, de sortir de ces cases dans lesquelles on nous met en permanence”. La case qu’elle supporte le moins ? Cette de la femme docile et silencieuse : “J’ai l’impression, à plusieurs reprises dans ma vie, d’avoir à la fois subi le racisme et le sexisme. C’est une double peine. Et moi, je suis quelqu’un qui ne me laisse pas faire. Et ce cliché de la femme asiatique qui se tait, qui ne doit rien dire, il me met hors de moi, s’agace la candidate, Je suis tout l’inverse. Et c’est ce que je voulais montrer aussi à l’écran : l’image d’une femme extravertie, qui n’a pas peur de dire ce qu’elle pense. Je voulais être pleinement moi-même, et je suis très contente de l’image que j’ai suite à la diffusion, je la trouve très belle et fidèle à ce que je suis.”

Également satisfait du portrait que la télévision a dressé de lui, Van My se félicite de l’après-télé, et du soutien qu’il a reçu des personnes de sa communauté : “J’ai l’impression que notre présence à été saluée, en tout cas j’ai reçu énormément de messages de personnes asiatiques qui étaient heureux de nous voir à l’écran. Les gens viennent me voir dans la rue, à la salle etc, et me disent qu’ils m’ont adoré, que ça leur a fait du bien de nous voir aussi bien représentés.”

Crédit photo : Netflix

Il faut dire qu’avec un casting ayant battu tous les records (pas très difficiles à battre, on vous l’accorde) de représentation des personnes asiatiques à la télévision française, Love is Blind France ne se contente pas simplement de montrer des visages différents de ceux que le petit écran nous a habitués à voir. Le programme offre un panel complet et complexe, où les candidats vietnamiens ne sont pas réduits à des clichés, mais embrassent leur individualité. Pour, peut être, ouvrir la porte à plus de diversité dans les futures productions ? “J’espère que ça encouragera d’autres émissions à montrer plus de personnes asiatiques et à le faire en insistant sur leur pluralité. Je pense que ça ferait du bien à beaucoup de gens !,” conclut Chloé. On ne pourrait pas être plus d’accord. 

4 novembre 2025

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