Entre difficulté à concevoir, charge mentale et post-partum, Davinhor, Amel Bent, Nawell Madani ou encore Leïla Bekhti s’emparent de l’espace médiatique pour parler de leur rapport à la maternité, sans glamourisation ni tabou.
Si les femmes racisées en France sont toujours peu mises en avant dans l’espace médiatique, elles le sont encore moins quand il s’agit de parler de grossesse. Être mère et racisée : voici un cumul d’invisibilisation. Voilà pourquoi depuis plusieurs mois, les interventions de Leïla Bekhti, Amel Bent ou encore Davinhor offrent une toute nouvelle fenêtre en terme de représentation. Couvrant de nombreux sujets inhérents à la maternité. Entre fausse couche, difficulté de concevoir, stérilité et charge mentale, elles libèrent la parole, et à la fois celles de milliers de femmes en manque de représentations.
Fausse couche en chanson ?
Sobrement intitulé “Fausse couche”, le nouveau single de Lynda et Imen Es s’impose déjà comme le nouveau “Confession Nocturne” où la fille trompée se confie à sa copine révoltée dans un story telling tout en vibes et en sororité. Avec un petit élément supplémentaire : le fait d’évoquer une interruption non désirée d’une grossesse, vécue dans la douleur. Un sujet très rarement abordé dans l’espace médiatique qui concerne pourtant 10 à 15 % des grossesses. En endossant un rôle de grandes sœurs presque malgré elles, les deux stars du RnB français s’inscrivent dans une nouvelle mouvance imposée par leurs aînées, Amel Bent et Leïla Bekhti en tête de file, qui ne se forcent plus à porter un discours tout-beau-tout-rose en interview. Oui, être mère ou vouloir le devenir, c’est difficile. Et non, le dire et le penser ne doit plus nous faire culpabiliser.
Le thème de la fausse couche, Lynda et Imen Es ne sont pas les premières à en parler. En 2021, c’est Amel Bent qui se confiait sur la sienne, survenue alors qu’elle était encore coach à The Voice et détectée par des douleurs aux ventres. « Quand j’arrive chez le médecin et qu’on fait l’échographie, il me dit effectivement que je suis en train de perdre le bébé que j’attendais. » Ne voulant pas avoir recourt à un IVG, la chanteuse souhaite laisser la nature faire le travail, et continue les tournages. « Qui peut imaginer qu’à ce moment-là, je suis en train de perdre un enfant ? C’est là où la phrase iconique des artistes, ‘The show must go on’, prend tout son sens, » confie-t-elle à 7 à 8. Une première révélation qui a encouragé l’artiste à s’emparer de son compte Instagram pour en dire un peu plus à ses fans. « Mettre ma pudeur de côté pour me raconter, c’est prendre la parole avec fierté au nom de toutes les femmes, car une femme sur quatre a traversé ou traversera cette terrible épreuve. Continuons de libérer la parole pour que ces tabous n’en soient plus. Ce sont des épreuves douloureuses que les codes de notre société nous obligent à passer sous silence. (…) Soyons fortes, soyons solidaires et n’ayons pas peur de faire bouger les choses pour nos générations futures… »
La culpabilité féminine
Lorsque l’on écoute “Fausse couche”, on est frappées par le refrain : “Oh dans neuf mois, j’serai la plus comblée / Mes rêves deviennent réalité / J’vis l’bonheur comme à la télé”. Penser la maternité comme un gage de réussite dans la vie d’une femme, cela ne favoriserait-il pas une certaine pression ? Oui, à en croire Nawell Madani, qui s’est expliquée sur ses difficultés à concevoir sur différents plateaux lors de la promotion de son nouveau spectacle « Nawell tout court ». Elle raconte, sur celui de Quotidien le 11 mars dernier : “Pendant que j’attendais que quelque chose naisse en moi, j’étais en train de mourir à petit feu.”
Nawell avoue avoir vécu “dix-sept ans de combat” pour avoir sa fille et avoir eu recours à “plus de dix FIV” avant de tomber enceinte. “La plus grosse épreuve de ma vie, c’est d’avoir mon enfant, ma fille. C’est vingt ans avec Djibril (son compagnon, ndlr) où on se demandait si on était fait l’un pour l’autre si on n’arrivait pas à se reproduire. On se posait ses questions là. J’ai commencé à en parler, ça a fait tout de suite échos. Il y a eu beaucoup de témoignages. Encore trop peu de gens en parlent, il y a trop de tabous autour de la PMA,” détaille l’humoriste.
Pourtant, “un couple sur cinq est confronté à l’infertilité,” explique le Pr François Olivennes, gynécologue obstétricien spécialiste de la procréation médicalement assistée (PMA) interrogé par Marie-Claire. Et la femme, elle, est bien souvent celle a qui revient la culpabilité, alors que “dans la moitié des cas, la cause – ou l’une des causes – est d’origine masculine”. Dans le même article, une lectrice témoigne : “Ce n’est qu’après deux tentatives de FIV sans succès que les médecins se sont intéressés de près à mon compagnon.”
Hasard du calendrier ou libération de la parole, deux jours plus tôt, c’est la pourtant très discrète Leïla Bekhti qui se confiait sur ses difficultés à avoir un enfant dans l’émission Sept à huit, sur TF1. Incarnant actuellement une mère prête à tout pour aider son fils handicapé, l’actrice est également mère de quatre enfants dans la vraie vie, nés de son union avec Tahar Rahim.
“Quand la gynéco m’annonce que je vais avoir du mal à faire un enfant naturellement, ça faisait plus de deux ans que j’essayais de faire un bébé, j’ai mon oreille gauche qui se bouche comme si je ne voulais pas entendre, j’étais complètement assommée par cette annonce, raconte Leïla Bekhti, Je l’ai annoncé à Tahar et je lui ai dit : ‘écoute, on va pas vivre cette épreuve ensemble, je ne veux pas t’imposer ça’. Tout de suite, il m’a dit ‘c’est drôle d’en parler comme si c’était ton problème’”. Deux mois après, l’amie d’Adèle Exarchopoulos tombe enceinte naturellement. “Encore aujourd’hui, ma gynéco ne peut pas me donner d’explication par rapport à ce qui est arrivé, puisque j’ai eu mes quatre enfants naturellement”.
Davinhor c’est vraiment quelqu’un 🖤 pic.twitter.com/7CDqSGtiaH
— LE D (@deeeee91) June 10, 2023
📺 : Dans notre émission « Podcast RPL », Davinhor a évoqué sa grossesse, l'arrivée de son bébé, et la difficulté de la période post-partum. pic.twitter.com/9K5BdwyqCY
— RAP’ELLES💥 (@Rap_elles) June 3, 2024
Cesser de minimiser
Mais l’arrivée d’un enfant ne signifie pas la fin du combat, comme en témoigne la rappeuse Davinhor, très ouverte au sujet de la dépression post-partum qu’elle a vécu. “Tu peux te tirer une balle. Moi je suis rentrée dans une dépression, j’ai voulu y passer. Je priais, je demandais à Dieu de ne pas me réveiller le matin. Je n’arrivais pas à dormir, j’avais le sentiment de devenir folle, détaille-t-elle dans le Podcast RPL, C’était trop dur de trouver sa place en tant que femme, j’avais le sentiment que ma fille prenait énormément de place, et j’avais du mal à trouver la mienne dans ma relation. De me trouver physiquement, psychologiquement, j’avais du mal. L’alimentation, c’était compliqué, pouvoir s’habiller, c’était compliqué, de savoir si je pourrai revenir sur la scène musicale aussi, c’était compliqué… Il y a plein de questionnements. (…) J’ai énormément perdu confiance en moi, j’ai failli y laisser ma peau. Pourtant mon bébé, c’est le plus beau des bébés !”.
En France, on estime qu’environ 17% des mères françaises sont touchées par une dépression post-partum. Le discours public, lui, est proche de zéro. On évoque timidement des babyblues, rarement des dépressions. Ce qui engendre, bien évidemment, de la culpabilité chez les femmes qui passent par cette épreuve. “Il ne faut pas se laisser influencer par toutes ces femmes qui montrent leur grossesse sur les réseaux sociaux, conseille la rappeuse, un accouchement, ça ne se passe pas forcément bien, et elles ne montrent que les bons côtés, pas les mauvais,” rappelle l’interprète de BINKS. Dans une autre interview accordée au média Madmoizelle, la rappeuse souligne sa solitude, celle que les femmes de sa famille n’ont pas connue. « Moi, je suis Congolaise. En Afrique, dès qu’on vient de mettre au monde, il y a la famille qui est là pour nous encadrer, pour garder l’enfant, faire les soins en tant que femme pour resserrer ton ventre. On t’apprend à t’occuper de ton enfant. Moi, on m’a pas forcément appris. Je me suis occupée d’elle instinctivement. Personne n’est venue me voir chez moi ».
Pression et charge mentale
Gérer des difficultés à concevoir, une chute d’hormones vertigineuses, un nouveau corps, l’arrivée d’un bébé et devoir garder le sourire et de l’énergie pour tenir une maison propre, un frigo plein et un mari content : c’est la longue liste d’un grand nombre de femmes qui internalisent cette charge mentale toujours grandissante. Elle grossit, grossit, grossit, sans que l’on puisse l’évoquer en public. Ce silence autour de cette charge pesante, Amel Bent en a eu marre et en a carrément fait une chanson : “Décharge mentale”, sortie en janvier dernier.
Profitant de la promotion pour parler du quotidien des femmes et de leur fardeau invisible. “Les femmes, en société, on va avoir plus de mal à vieillir, plus de mal à concilier notre vie de famille, de mère, d’épouse. J’ai l’impression qu’on nous sollicite partout, tout le temps, en nous excusant rien, s’agace la chanteuse sur le plateau de C à Vous, Il faut tout faire en étant fraîche, il ne faut pas grossir, il faut rester jeune, il faut absolument être une bonne mère, une bonne épouse, être au top au boulot parce qu’on sait qu’on ne va pas nous rater. Tout ça, ça fait partie de cette fameuse charge mentale. Ce sont deux mots qu’on utilise depuis pas longtemps, mais sur quelque chose que ma mère a vécu, que ma grand-mère a vécu. Il est temps qu’on le dise. Même si on souhaite l’être et on se bat pour ça, on n’est pas surhumaines. Il y a un moment donné, on ne peut pas être 100 % partout. Et quand on ne l’est pas, il ne faut pas qu’on nous ramène à cette culpabilité permanente.” Une charge mentale d’autant plus présente dans les foyers non-blancs à en croire une étude américaine du Pew Research Center. L’enquête a par exemple révélé que le stress et l’inquiétude liés à la parentalité touchent de manière disproportionnée les parents noirs, hispaniques et asiatiques que les parents blancs. Avec, toujours, une domination du stress de la mère.
Selon une enquête Ipsos de 2023, 63 % des femmes se sentent concernées par la charge mentale, contre seulement 36 % des hommes. Et une étude Ifop réalisée l’année précédente montre que 34 % des Françaises se disent proches du burn-out parental et 43 % d’entre elles estiment qu’elles “manquent de soutien au quotidien”. “Moi, j’aimerais écrire une chanson / Et me lever tôt pour mes enfants / Rappeler la banque pour la maison / Changer les rideaux du salon / Gonfler les pneus de mon vélo / Il faut que j’devienne écolo,” énumère Amel Bent dans sa chanson. Avec humour, mais surtout avec exactitude.
“Ce n’est pas possible de se dire : ‘Aujourd’hui, je n’ai pas pu aller chercher mes enfants à l’école. Suis-je une mère indigne ? Parce que j’étais au travail’. Et si je suis allée chercher mes enfants à l’école et que je n’ai pas fait telle chose au boulot, est-ce que je suis quelqu’un qui ne mérite pas sa place dans son entreprise ?, poursuit l’interprète de Ma Philosophie, Peu importe ce qu’on fait. Si on a les moyens de payer une nounou, on culpabilise parce que ce n’est pas nous qui faisons les sorties d’école. Si on n’a pas de nounou, on se dit : ‘Purée, j’adorerais pouvoir me payer une nounou parce que j’aimerais prendre un bain ou avoir une minute pour moi’. Je veux dire, toutes les femmes, chacune, selon qu’elles soient célibataires, pas célibataires, qu’elles aient des boulots qu’elles adorent ou des boulots qu’elles n’aiment pas, qu’elles soient mère au foyer, je crois qu’aucune de nous n’est épargnée par cette charge mentale…” Et en parler publiquement c’est envoyer un message fort et nécessaire aux femmes : vous n’êtes pas seules.
9 avril 2025