Ça veut dire quoi « être belle pour une renoi » au juste ?

Il ne faut pas être une femme noire pour avoir déjà entendu cette phrase. Si vous n’en étiez pas la destinataire, vous en avez été au moins une fois le ou la témoin. Peut-être en avez-vous même été l’auteur.e..

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« Elle est belle pour une renoi, pour une noire, pour une black ». Ces mots qui sonnent comme un compliment sont en vérité des relents de racisme ordinaire. Ils participent à ajuster le corps noir aux canons de beauté du corps blancs comme le rappelle la sociologue antillaise Juliette Smeralda dans son livre « Peau noire, cheveu crépu ; l’histoire d’une aliénation ». L’ajout du « pour une renoi » vient rabaisser ce qui touche à l’identité physique, comme pour dire qu’être noire et belle à la fois relèverait de l’exception. ll suffit de regarder les commentaires adressés à Aya Nakamura à chaque fois qu’elle s’expose publiquement pour comprendre que la femme noire est décortiquée. Son corps et son maquillage sont scrutés. Est-ce pour cela qu’elle semble désormais jouer tantôt avec les filtres, tantôt avec le contouring, technique de maquillage visant à sculpter son visage, pour comme beaucoup d’autres personnalités publiques, tenter de modifier ses traits ?

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C’est le cas d’une autre chanteuse Awa Imani que l’on a rencontré il y a quelques mois pour lui parler de son titre « Belle pour une renoie ». Dedans elle y dénonce les critères de beauté imposés à la femme noire. Elle nous confiera avoir souvent été appelée la « Babtou renoi » en raison de ses traits fins. Mais en proie elle aussi visiblement à des complexes, elle refusera qu’on publie les photos associées à cette interview (non publiée). Jugeant son contouring pas assez prononcé. Hypocrisie ? Peut-être. On notera surtout que les complexes sont ancrés, et véhiculés aussi par celles qui tentent de dénoncer les diktats imposés par des critères de beauté occidentaux.

C’est le constat que fait aussi l’autrice suisso-haïtienne Hannelore Ver-Ndoye, à qui on est allées poser quelques questions sur la base de cette phrase tout sauf anodine : « T’es belle pour une renoi ». Dans son livre « Décoloré » paru en 2022 elle aborde la question de la dépigmentation, mais aussi des origines et des conséquences liées aux motivations de ressembler aux canons de la femme caucasienne.

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Mots de l’autrice suisso-haïtienne Hannelore Ver-Ndoye

ANCRÉ : Que vous inspire cette phrase souvent entendue « elle est belle pour une renoi ». 

Hannelore Ver-Ndoye : De l’exaspération. C’est valider et véhiculer l’idée que les femmes noires ne sont pas belles, sauf exceptions ; généralement celles qui ont des traits fins ou encore celles qui ont la peau claire et des cheveux non crépus. Une femme noire peut donc en être amenée à développer un manque d’estime de soi, rejeter certaines de ses caractéristiques physiques, vouloir les modifier pour être à son tour valorisée. Cela peut aller de l’utilisation de techniques de maquillage comme le contouring, à des méthodes bien plus radicales comme la chirurgie esthétique ou l’utilisation de techniques dépigmentantes, comme par exemple des pilules, injections, utilisation de mélanges douteux ou encore de produits cosmétiques dépigmentants qui sont forcément un danger pour la santé.

Pourquoi selon vous, les traits fins sont érigés comme seul critère de beauté chez la femme noire ? Où cela prend-t-il racine ?

Il s’agit sans aucun doute d’un critère important mais je ne dirais qu’il s’agisse du seul. Trois phénotypes sont imbriqués : couleur de peau, texture des cheveux et traits faciaux. Plus on aura une peau foncée, des cheveux crépus et des traits épais, plus on sera reléguée au bas de l’échelle de l’esthétisme. Cela prend directement racine de la période coloniale et de l’esclavage. C’est durant cette période que l’on a déshumanisé les personnes noires pour justifier le fait qu’on les opprimait. Ces trois phénotypes ont alors été associés à la laideur, toujours pour rabaisser les Noirs, tandis que les phénotypes de l’homme et de la femme blanche étaient les références de beauté. La femme subissant globalement davantage d’injonctions esthétiques que les hommes, la femme noire va être plus durement touchée par ces diktats. 

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Dans votre livre vous pointez du doigt plusieurs facteurs : médias, diktats esthétiques, discriminations, hiérarchisation raciale, colorisme, inégalités. Comment cette liste s’illustre t-elle dans la vie de tous les jours ? 


Dans la vie de tous les jours, cela s’illustre par le fait que lorsque l’on est une femme noire, on va davantage faire face à des discriminations ; avoir plus de difficultés à trouver un emploi ou un logement, être moins complimentée et courtisée, subir des actes racistes. On aura plus de difficultés à se retrouver représentée dans les médias, à trouver des modèles sans tissages ou perruques et avec une carnation foncée par exemple. On peut également subir un colorisme, c’est-à-dire un traitement graduellement privilégié des carnations les plus claires, au sein même de sa sphère familiale par exemple. La couleur de peau n’est pas un élément neutre sans conséquences et plus on est noire, plus on subit ces inégalités. 

De nombreuses femmes noires véhiculent elle-même ces critères de beauté. Comment les aider à les déconstruire ? 

Forcément on se retrouve à les véhiculer soi-même car on baigne dedans depuis l’enfance. Il peut alors être important de se rapprocher des modèles valorisants afin de pouvoir se projeter positivement. Sur les réseaux sociaux, de plus en plus de pages sont consacrées aux beautés noires. Certains films ou séries peuvent également aider. On peut par exemple s’inspirer des coupes de cheveux d’Issa Rae dans la série Insecure ou encore suivre des influenceuses qui proposent des hairstyles naturels et mettent en valeur leur couleur de peau foncée. Il faut redécouvrir les beautés noires. Au-delà de cela, je dirais que l’essentiel est aussi de travailler sur son intérieur et son estime de soi, car le bien-être et la beauté intérieure sont bien plus importants que des caractéristiques esthétiques, contrairement à ce que l’industrie cherche à nous faire croire. Il faut renforcer le sentiment intérieur de valorisation, être soi-même dans sa beauté et ne pas la chercher à l’extérieur de soi.

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Témoignages de jeunes femmes pour ANCRÉ en vidéo ci-dessous

Crédit photo :
Production : ANCRÉ
DA et interview : Hanadi Mostefa
Photographe : Wendel Nazaire
Vidéaste : Ginane Chaaban
Stylistes : Lola et Romane Cisowski
MUA : Louna Léa, Camille
Hair : Sarah
Assistante prod : Neema Fatouma
Modèles : Bine, Ruth, Tiffany, Kimberley, Maketa

15 juin 2023

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