Studio Visite : Avec Tiffany Bouelle tout est presque bleu

Rencontre avec l’artiste parisienne dans son atelier.

Crédit photo : Pete Casta/ANCRÉ

Mesures strictes liées au COVID oblige, nous avons échangé par mail avec Tiffany. Et en une seule missive virtuelle envoyée, on a compris que la jeune femme aimait papoter. Vive, pétillante, voilà ce qui ressort de notre échange avec l’artiste qui s’est installée dans un atelier près de la Place de l’Étoile. Au chaud, dans un intérieur haussmannien, elle décapsule les pots de peinture, fait tourner ses pinceaux sur la toile tout en piochant dans une palette de couleurs encline à virer très vite au bleu. Pour la vie en bleu avec Tiffany Bouelle. Rencontre.

En 2018 vous exposiez votre première série intitulée « Mauvais rêves ». Ils ressemblent à quoi les mauvais rêves de Tiffany en ce moment ? 

C’est une question qui tombe bien, je viens de me faire opérer des yeux et j’ai passé trois jours dans le noir sous codéine. Je peux vous dire que mon esprit malin était bien en éveil. Je me sens incapable de vous dire exactement les choses que j’ai vu par pudeur de vous troubler mais j’ai eu la preuve d’une imagination débordante très sombre, torturée, macabre. Je ne savais pas que je pouvais avoir des visions de sorcière.

Vous dites vous épanouir dans la mélancolie. Ça a quelle couleur en peinture la mélancolie ? 

Je ne m’épanouis pas dans la mélancolie, je considère la mélancolie chez mes sujets comme une forme de beauté et j’aime l’explorer pour en tirer un travail plastique au travers d’une expérience humaine. Celle ci est très connectée à la philosophie japonaise du wabi sabi.

Comment décrivez-vous cette philosophie ?

Je te propose plutôt un extrait du livre qui m’a mis sur la voie et qui s’appelle « Éloge de L’ombre » de Tanizaki c’est une bible du wabi sabi. Ça dit : « N’avez-vous jamais, vous qui me lisez, au moment de pénétrer dans une de ces salles, éprouvé le sentiment que la clarté qui flotte, diffuse, dans la pièce, n’est pas une clarté ordinaire, qu’elle possède une qualité rare, une pesanteur particulière ? N’avez-vous jamais éprouvé cette sorte d’appréhension qui est celle que l’on ressent face l’éternité, comme si de séjourner dans cet espace faisait perdre la notion du temps, comme si les ans coulaient sans qu’on s’en aperçoive, à croire qu’à l’instant de le quitter l’on sera devenu soudain un vieillard chenu ? ».

Crédit photo : Pete Casta/ANCRÉ

Une de vos marques de fabrique c’est la dissymétrie, autrement dit l’absence de symétrie. Est-ce que, si on joue les psychologues, cela peut trouver une explication dans votre métissage ? 

Ce métissage est une dualité certainement connectée à cette dissymétrie, il me semble peu éloigné de mon attraction pour les chiffres impaires. Comme si tout ne se connectait pas parfaitement et pourtant bien réel. C’est un sujet que je dois explorer.

Parlez-nous du Japon que vous connaissez. 

À la maison ce sont les trajets à vélo en passant par les rizières et les laiteries pour aller faire les courses, les parties de cache cache dans les temples avec les cousines, poursuivre des cigales, me faire piquer par des moustiques pendant les festivals d’été, les champs de tournesols, la glace pilée à la fraise qui coule sur mes mains et qui fait des taches rose sur le béton brûlant, la pêche avec mon grand père, Avedon (comme le photographe) son chien qui ne connaissait pas l’obéissance, ma tante qui me chante en japonais et cède à tous mes caprices gourmands. C’est aussi les cousins, les voisins qui passent les uns après les autres avec des cadeaux dans les bras, les gens qui posent des questions, regardent ce que je mange, ils regardent mes yeux, mes cheveux, ils veulent les câlins d’un enfant qui est différent.

Vous vous sentez constamment un ovni là bas ?

Le Japon c’est aussi l’école, l’intégration à une classe en tant qu’ovni, la méfiance, l’envie, l’incompréhension de la différence mais c’est aussi la ville. Des gens, beaucoup de gens, du bruit, des reflets, des écrans, tout ce que l’on souhaite est accessible, facile à trouver, facile à acheter, la ville est énorme mais tout est petit, en ville je ne suis plus un ovni puisque vous êtes avec moi, des touristes, des bermudas, des hôtels avec des vues, les TGV qui traversent le pays en trois heures, du coup c’est un Japon plus facile pour l’intégration, l’échange, on peut y rencontrer des japonais occidentalisés qui aiment le bon vin pour le dîner.

Crédit photo : Pete Casta/ANCRÉ

On retrouve souvent le bleu dans vos œuvres. Qu’est ce que convoque cette couleur chez vous ? 

Le bleu a toujours eu une grande place dans ma vie, il me rappelle les vêtements de mon grand-père et de ma mère, mes vacances en Normandie puis dans mon travail le bleu est arrivé comme une évidence. Cette couleur que l’on dit dans les teintes froides révèle un éclat formidable et heureux. Je trouve que ce contraste froid traduit bien l’émotion de mes sujets à travers cette couleur. Je parle de sujet douloureux par moment et pourtant sur l’œuvre ce sentiment se transforme en quelque chose de très fort…

Comment avez-vous pensé votre studio ? Offrez-nous une visite avec vos mots. 

L’ouverture de mon atelier permet de partager l’ensemble des recherches effectuées pour l’ensemble de mes projets et de partager un moment avec des personnes qui aiment mon travail. Parmi mes clients certains sont devenus des sujets dans mon travail. Je me nourris des autres et je puise mon inspiration dans mes expériences humaines du coup je considère vitale d’être proche des gens qui me soutiennent.

Crédit photo : Pete Casta/ANCRÉ

Vous y invitez du public d’ailleurs. On peut même prendre rendez-vous sur votre site. On est loin de l’image de l’artiste reclus qui ne voudrait voir personne. 

Je suis sauvage dans la jungle mais aucunement en ville, que voulez-vous ?

Vous dites vouloir explorer à travers votre art l’impact des réseaux sociaux sur les femmes. Comment cela se traduit-il dans vos oeuvres ? 

La traduction plastique de mes recherches est un approche très minimaliste et synthétisée de l’ensemble de l’experience menée. Je veux que mes tableaux intègrent des intérieurs de personnes qui sont sensibles à mes sujets. Cette sensibilité même je la vois comme quelque chose de très épuré… cela doit être le cœur japonais qui parle.

Vous pouvez rencontrer Tiffany Bouelle en prenant rendez-vous pour visiter son atelier ici.

Crédit photo : Pete Casta

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