On a posé la question à des spécialistes de la revente.
“Moi si je devais faire la queue devant une boutique pour une paire de sneakers, faudrait que ce soit Rihanna qui me la redonne en mains propres, et encore…”. Cette petite phrase glissée par Mélody, journaliste chez Marie-Claire lorsque nous avions animé une conférence sur les sneakers les femmes, est-elle un indice à la question que cet article se pose ? À savoir, les femmes sont-elles aussi des reselleuses ? Si désormais le monde de la sneaker semble avoir embrassé ce système de vente et d’achat comme nouveau modèle économique et transactionnel, quant est-il pour les autres produits féminins ? À l’heure où Jordan promet plus de modèles exclusifs pour ses consommatrices, le marché féminin de la sneaker s’apprête t-il à prendre un nouveau virage ? Tentative de réponse avec Sophie Hersan, Co-fondatrice et Directrice Mode chez Vestiaire Collective et Romain Odin de la boutique de revente à Paris Larry Deadstock.
ANCRÉ : Le resell en France est-il un mot facilement associé au féminin en France ?
Sophie Hersan, Co-fondatrice et Directrice Mode chez Vestiaire Collective : Né en 2010, le resell était à l’origine masculin et s’est développé dans la catégorie des montres. Il s’est ensuite démocratisé avec les catégories sneakers et streetwear à l’international. Cette tendance a conduit à l’ouverture de nouvelles plateformes comme StockX. Nous constatons ces dernières années que les femmes s’intéressent de plus en plus aux sneakers et au streetwear qui sont des tendances unisexes et dont les marques de luxe se sont appropriées les codes. Ainsi les femmes se tournent aujourd’hui vers le resell en France et au-delà des frontières.
Romain Odin pour Larry Deadstock : Pas tellement, nous avons même l’impression que nos clientes ne comprennent pas forcément et découvrent souvent ce système de revente ; certaines jeunes filles peuvent parfois servir de « prête-nom » pour récupérer une paire lors des raffles (tirages au sort) à la demande de quelqu’un dans leur cercle amical, sans être motivée par le gain direct sur la paire puis il y a les vraies collectionneuses forcées souvent d’utiliser les canaux de resell pour obtenir leurs paires.
Si la femme a depuis de nombreuses années utilisé des plateformes de reventes, l’arrivée de la tendance du resell a-t-elle changé certains de ses comportements ?
SH : Nous avons pu constater que les femmes s’étaient appropriées rapidement cette tendance du resell sur la maroquinerie ou le vintage. On note aujourd’hui que la femme et l’homme se tournent vers des achats plus rationnels, des valeurs sûres. On observe également chez la femme une approche plus émotionnelle dans ses choix.
RO : Nous voyons beaucoup plus de femmes concernées par la sneakers qui achète en boutique mais souvent en répercussion des tendances majeures liées au phénomènes de mode sur certains modèles. Les véritables spécialistes sont assez rares, mais existent notamment dans une tranche d’âge plus jeune ( 3/17 ans) encore plus impliquée sur les réseaux sociaux.
Elles vendent des produits hommes ou femmes ? Et que recherchent-elles comme produits à acheter ?
RO : Elles vendent surtout des produits femmes qui sont souvent à la base achetés pour elles.
Dissociez-vous le resell de la revente comme on la connaît sur Vestiaire Collective ou d’autres plateformes qui misent sur la seconde main ?
SH : Vestiaire Collective incite à prolonger la vie des produits ou à leur donner une deuxième voire une troisième vie. La communauté Vestiaire de vendeurs et d’acheteurs est à la recherche d’articles d’occasions qu’elle va acquérir et porter pendant un moment si elle n’utilise plus la pièce elle la vendra. Notre communauté conduit un changement dans ses habitudes de consommation vers plus de circularité autour de la mode de seconde main.
Quel(s) produit(s) a fait son apparition sur votre plateforme ces dernières années que vous ne voyez pas avant chez Vestiaire Collective ?
SH : Tous les items à moins de 200€ qui étaient très restreints sur la plateforme, représentent quasiment 40% de notre assortiment désormais.
Qu’est ce qui guide le resell chez les femmes ? Vendent-elles aussi pour se faire de l’argent ?
SH : La recherche de produits rares et de collections (Maroquinerie, Joaillerie et vintage) et la revente de produits rares ou désirables et parfois à des prix au-dessus du neuf.
RO : Non, les reselleuses “professionnelles” sont très rares voire inexistantes, il s’agit plutôt de collectionneuses ou d’acheteuse qui revendent les paires la plupart du temps en cas d’erreur de taille ou de déception face au rendu de la paire. Il y a également d’autres types de personnes qui vendent pour le compte de leur mec puis se prennent un peu au jeu…Grosso modo les femmes représentent 2/3% de nos vendeurs dépôt/vente chez Larry Deadstock.
Les hommes achètent de plus en plus selon la hype, c’est le cas chez les femmes aussi ?
SH pour Vestiaire Collective : Les tendances se croisent : l’homme et notamment les jeunes générations se tourneraient davantage vers une mode plus hype (plus d’accessorisation) aujourd’hui, alors que, la femme se tournerait vers plus d’intemporalité et de simplicité. Nous remarquons que la mode homme est de plus en plus influencée par la mode femme et inversement c’est pourquoi nous retrouvons des pièces unisexes.
RO pour Larry Deadstock : Oui c’est le cas mais nous les sentons moins “aventurières” sur des modèles spé voir avant-gardiste, elles sont de manière globale plus traditionnelles dans les choix (Air force, AJ1, Air Max…).
Elles vendent majoritairement des produits hommes ou femmes ?
SH : Femmes en effet, à 85%
RO : Celles qui revendent misent plus sur des produits féminin ou tailles féminines.
Le panier moyen de la femme est-il plus élevé que celui de l’homme ?
SH : Oui sur la plupart des catégories. (Plus d’articles dans le panier)
RO : Plus bas, en moyenne 200/300euros contre 400/500euros chez l’homme.
Ont-elles une marque favorite et que recherchent-elles comme produits à acheter ?
SH : Les marques les plus recherchées chez Vestiaire Collective en 2020 sont : Gucci, Louis Vuitton, Dior, Prada, Fendi et côté sneakers : Acne Studios, Manhattan , Bolzter, Dior B23.
RO : Nike (Jordan) pour la plupart des cas, adidas et Yeezy également.
Sur votre site Larry Deadstock il n’y a pas d’onglet femme. Pourquoi ça ?
RO : On est des gros misogynes (rires). En fait on n’a pas assez de modèles femmes dans notre stock et puis nous partons du principe que c’est qu’une affaire de taille et que la plupart du temps les modèles sont mixtes en fait.
Les marques sentent-elles un potentiel resell chez les femmes ? Si oui à quoi le voit-on ?
SH : Cela semble se confirmer si nous en jugeons par la catégorie de baskets rares, en effet, elles sortent dans les deux tailles.
RO : Oui clairement il ya beaucoup plus de modèles déclinés féminins, des exclus uniquement woman (par exemple la AJ4 x Off–White™ ), des coloris ou des thèmes qui se voudraient girly mais par exemple sur une Jordan 1 mid typée “rose” ça fonctionne moins bien auprès de la cible qu’un coloris OG type Chicago (rouge/blanc). Nous avons longtemps entendu de la part de nos clientes que l’offre des marques pour elles n’était pas suffisante, que les modèles cools c’était pour les mecs, on l’entend moins aujourd’hui.
Selon vous comment le marché du resell féminin va t’il évoluer ?
SH : Chez Vestiaire Collective, nous encourageons nos acheteurs et vendeurs à acheter des pièces d’occasions aux prix du marché de la seconde main. Le resell est présent sur la plateforme mais l’achat d’occasion reste au cœur de notre engagement et celui de notre communauté.
RO : Nous pensons que devant la multiplicité des sorties et programmes, l’évolution des canaux pro de revente plus safe (Stock X, les shop de dépôt vente /rachat comme nous, les sites comme Vinted ect… ), les reportages sur “le phénomène sneakers”, les réseaux sociaux, les femmes devraient se mettre à revendre plus dans les années à venir. Cela nous semble assez logique et nous sommes prêts à les accueillir et les conseiller dans leur démarche.
14 septembre 2021