Entre traditions et émancipation, la ville-état de la péninsule arabe fait face à l’arrivée du programme américain, non sans critique.
Le programme américain de télé-réalité « Real Housewives » créé en 2006 et qui brosse le portrait de femmes américaines des classes moyennes ou riches a depuis été largement démultiplié. Pensé comme un docu-soap, l’émission suit la vie quotidienne de plusieurs femmes au foyer et épouses américaines. On compte près de douze versions aux USA allant des villes de Beverly Hills, Miami, Jersey City ou encore Dallas et New York. Face au succès de cette télé-réalité, les producteurs de l’émission diffusée sur Bravo, ont vendu leur programme à l’étranger. En avril 2022 c’est le Nigéria qui lançait sa propre version suivi dans la foulée par Dubaï. Mais dans la première ville des Emirats arabes unis la reality-tv « Real Housewives of Dubaï » est loin de faire l’unanimité. Plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer un programme caricaturale suite à la diffusion de la bande-annonce.
Dans un post Instagram liké plus de 10 000 fois, l’influenceur émirati Majid Alamry a dénoncé la série qui « ne représente pas les vraies femmes au foyer de Dubaï ». Selon lui l’extrait vidéo met en scène « des femmes qui portent des bikinis sur des plages, qui utilisent un langage grossier et qui se présentent comme des gold diggers ». L’homme au 86 000 abonnés sur Instagram et qui a reçu de nombreux soutiens, a également dénoncé ce qui pour lui vient renforcer les clichés. « Maintenant, ma femme est une femme au foyer, elle ne s’habille pas comme ça en public, elle ne parle pas de cette manière et elle a accompli beaucoup de choses dans sa vie (…) Les femmes au foyer de mon pays sont nos mères, nos sœurs, nos filles. Elles sont la colonne vertébrale qui nous aide à donner à nos enfants une bonne éducation ». Avant de conclure : « Oui, nous sommes un pays tolérant, mais cela ne signifie pas que les autres peuvent marcher sur nos morales et nos valeurs. »
Dubaï : entre opulence, traditions et lois locales
Aux États-Unis, les fans de la chaine américaine Bravo, se sont également positionnés contre ce nouveau lancement. Mais pour d’autres raisons. Ils accusent les producteurs de l’émission de déployer leur franchise dans un pays conservateur où l’homosexualité est criminalisée. Douze groupes de défense des droits de l’homme ont envoyé une lettre ouverte à Bravo et à la chaine NBC dénonçant « l’homophobie légalisée » et la « violence de masse contre les femmes » aux Émirats arabes unis. Dans leur lettre ils décrivent Dubaï comme« une monarchie absolue qui fait partie de la dictature des Émirats arabes unis ». En installant la franchise Real Housewives à l’intérieur de Dubaï, les producteurs de la série aident selon eux « la dictature des Émirats arabes unis à cacher la misogynie de ses dirigeants masculins, l’homophobie légalisée et la violence de masse contre les femmes. ». Les associations ont également demandé à ce qu’un message (un disclaimer) soit affiché avant la diffusion de chaque épisode affirmant que Bravo et les autres entreprises « s’opposent à la misogynie, à l’homophobie, aux violations des droits des femmes et à la guerre au Yémen de la dictature des EAU et de Dubaï ». Dans cette même lettre ils invitent les producteurs américains et notamment au plus connu d’entre eux Andy Cohen, à verser les bénéfices du programme à des organisations de défense des droits de l’homme. Vedette du petit écran aux US, Andy Cohen n’a jamais caché son homosexualité. Le 29 avril dernier le business man a accueilli son deuxième enfant né d’une mère porteuse.
Rights organization including @FreedomForward, @theactioncorps, @codepink, @ECDHRbxl, @fairsqprojects, @HRSentinels, @PeaceAction have written to the makers of ‘Real Housewives of Dubai’ expressing deep concern over the show, due to country’s poor human rights record. pic.twitter.com/1LY00Kfmk7
— Colossus Diplomacy (@ColossusDiplo) May 29, 2022
Deux salles deux ambiances ?
Pour Sara Al Madani, l’une des six participantes de « Real Housewies of Dubaï », l’émission est l’occasion de briser certains tabous. « Je représente l’ère de la femme arabe moderne. Ce que je veux faire à travers cette émission, c’est éliminer les idées fausses et les stéréotypes que l’Occident et le reste du monde ont de la femme arabe du Moyen-Orient. Nous sommes des femmes fortes, nous sommes libres. Nous ne sommes pas soumises, nous ne sommes pas contrôlées. Nous vivons notre vie comme nous le voulons », confie t-elle au média américain TODAY. « Nous sommes des entrepreneuses, des mères et des battantes », continue celle qui est mère célibataire et qui posait récemment avec un tee-shirt « Johnny Depp est innocent » devant ses 517 000 abonnés, qualifiant Amber Heard « d’ex femme narcissique ».
Mais ce qui effraie certaines dubaïotes et femmes issues plus largement des Emirats Arabes Unis, c’est la représentation unidimensionnelle des femmes habitant aux UAE que pourrait proposer le docu-soap. Pour Mona, 32 ans, mère de deux enfants et entrepreneuse, aucune des femmes choisies dans le programme ne la représente. « Je comprends l’idée derrière le drama et le scandale qui sont dépeints dans l’émission, mais elle utilise un titre « de masse », qui exclu tant de personnalités et de nationalités », explique t-elle dans les colonnes du média Khaleej Times. « Le titre donne l’impression que la majorité des femmes au foyer de Dubaï sont scandaleuses, ce qui est faux. Étant une femme au foyer de Dubaï, je ne m’identifie à aucun de ces personnages ».
« Real Housewives of Dubai » sera diffusé dès ce 1er juin. Au casting, une pluralité de nationalités. Lesa Milan originaire de la Jamaïque, Nina Ali née au Liban mais élevée au Texas, Chanel Ayan une mannequin originaire du Kenya, la locale Sara Al Madani, l’américaine afro-latina Caroline Brooks et la britannique Caroline Stanbury. L’occasion de rappeler que Dubaï, derrière une certaine forme d’hypocrisie de ses lois, peut-être une ville émancipatrice, notamment pour ses expatriés. Une mégalopole où comme l’écrit le média Courrier International, « l’’éphémère, le mouvant, l’indéfini sont la règle » et où « la vacuité de ce lieu avec si peu d’histoire, si peu d’identité, peut être émancipatrice ». Entre affranchissement des codes et polémique, Les « Real Housewives de Dubaï » tiennent déjà leur scénario.
30 mai 2022