Peut-on reprendre les codes de la prison dans un défilé de mode ?

Fondée en 2023 par Domenico Formichetti, la marque de streetwear PDF Channel faisait ses débuts sur les podiums milanais la semaine dernière. Enfin, “podiums”… Pour son défilé baptisé “FREE-DOM”, l’Italien a choisi de recréer une cour de prison, sans omettre tous les stéréotypes raciaux qu’une telle scénographie impliquait. 

Crédits photos : Gulya photography / Adriani Andrea

Clôture de barbelé, fourgons cellulaires jaune typiques des prisons américaines, figurants vêtus d’ensembles larges à rayure noir et blanc inspirée des tenues des détenus, faux tatouages sur des visages tuméfiés… Non, nous ne sommes pas dans un établissement pénitencier mais bien à un défilé de mode, celui de la marque PDF Channel qui, pour ses premiers pas à Milan, fait le choix pour le moins étonnant de s’inspirer de l’univers carcéral dans sa direction artistique. Pas pour en faire une critique, non, mais pour matérialiser “l’esprit en cage” du créateur, Domenico Formichetti, comme l’indique ce dernier dans une note d’intention. Avec, étrangement, une majorité de modèles noirs mis en scène devant un public, lui, presque entièrement blanc. 

Fétichisation de l’incarcération de masse

Si l’on pointe souvent du doigt le manque de diversité dans les défilés, l’idée n’est pas non plus de saluer l’emploi de modèles de couleurs dans un but de fétichisation. Pourtant, difficile ici de ne pas voir une illustration d’un lien encore trop effectué entre hommes noirs et criminalité. Surtout venant de la part d’un designer qui, lui, est blanc. “Toi, en tant qu’homme italien, tu veux représenter l’enfermement mental, ok. Pourquoi ton premier réflexe, c’est de mettre des hommes noirs en cage, en prison avec tous les clichés et les stéréotypes qui vont derrière ?,” se désole Sofiane Ait Slimane, co-fondateur et directeur artistique de la marque Relance sur ses réseaux sociaux. Il n’est d’ailleurs pas le seul à s’insurger d’une telle mise en scène. 

Sur TikTok et Instagram, de nombreuses personnalités de la mode ont tenu à s’exprimer au sujet du défilé qui en a choqué plus d’un. Initialement prévu au casting, le directeur artistique et modèle TJ Saw a décliné l’invitation lorsqu’il a pris connaissance du concept du show, parlant d’un “rituel d’humiliation planifié”. C’est d’ailleurs lui qui a révélé l’ajout de dernière minute de 5 modèles blancs afin d’échapper aux critiques. Directeur créatif de la marque YANG VIBE, Kevin Shephard, s’est également agacé en découvrant les images : “Où sont les gate keepers ? Où sont les gens qui disent “non, mec, je ne peux pas te laisser faire ça”. Peu importe la manière dont la Culture t’a influencée, cela ne te donne pas le droit de prendre une tragédie qui touche un certain groupe de gens et essayer d’en faire quelque chose de cool.” Car derrière ce que certains voient comme une scénographie audacieuse, d’autres perçoivent surtout la manière dont l’incarcération de masse des personnes noires constitue un fléau en Amérique du Nord. Pour rappel, si les Afro-américains représentent 13,6% de la population totale des États-Unis, dans le milieu carcéral, ce chiffre s’élève à 32%. Soit près d’un tiers des détenus. 

La question de l’exploitation 

Difficile de le nier : une telle mise en scène perpétue des clichés exotisés par le créateur lui-même. Mais si seulement ça s’arrêtait là, à une fétichisation maladroite héritée des blockbuster américains qui ont probablement nourri l’imaginaire de Domenico Formichetti… Le problème, c’est qu’avec cette présentation, la marque va s’enrichir. Et donc transformer le traumatisme de toute une communauté en un “fashion statement”, en un moyen de se faire de la publicité et, surtout, en dollars. “On assiste au privilège blanc dans toute sa splendeur, affirme le chanteur Max Millz en story, Le fait d’utiliser des garçons noirs comme des accessoires dans des cages portant des uniformes rayés leur enlève toute d’humanité. Ces idées ont été utilisées durant des siècles pour justifier du racisme et de l’oppression. L’incarcération de masse n’est pas un costume ou une vibe. (…) À la fin de la journée, ce show tire du bénéfice de la douleur noire et des stéréotypes sous couvert de mode.” Outre la thématique de la prison déjà problématique, les silhouettes elles-mêmes semblent plus proches du cosplay du Harlem des années 1990 que de la libération mentale promise par Domenico Formichetti. Baggy et sous-vêtements apparents, motifs de briques rouges, jerseys et casquettes sur le côté… Tente-t-on de nous faire passer des déguisements de mauvais goût pour de la mode novatrice ?

On pourrait se dire qu’un bad buzz d’une telle ampleur suffirait à provoquer une remise en question, du créateur mais aussi des médias qui ne cessent de chanter ses louanges. Mais non. La mauvaise presse serait-elle inexistante pour une personne privilégiée ? Alors que, jusqu’alors, seule une infime partie la fashionsphère connaissait déjà PDF Channel, cet unique défilé a suffit à faire exploser la marque, qui vient d’ailleurs d’ouvrir un pop-up à Paris. Depuis son show, sur Pinterest, on parle déjà de “jailcore”, comme si la prison était une “aesthetic” ou un moodboard. Alors, la quête du viral justifie-t-elle tous les excès ? 

26 juin 2026

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