Le continent est dans la ligne de mire du géant du streaming.
En 2020 Netflix inaugurait des nouveaux locaux à Paris, et annonçait 20 nouvelles productions françaises. Une arrivée qui signait un investissement de plus de 100 millions d’euros de la part de la plateforme dans l’Hexagone et qui, un an plus tard, se solde par un partenariat d’exception avec Omar Sy. L’acteur est devenu le premier français à s’offrir un contrat de plusieurs années avec Netflix. Mais il n’y a pas que dans l’Hexagone que le géant du streaming a fait une percée ces dernières années. Le continent africain est aussi dans le viseur du célèbre N rouge qui s’y est installé depuis 2016, avec des équipes basées à Amsterdam, Dubai, Londres et Nairobi. Cinq ans après avoir posé ses premières pierres, Netflix veut maintenant participer au développement de réalisateurs africains, notamment dans les pays africains anglophones et francophones. Mais dans le développement de son catalogue Netflix Africa, le géant doit faire face à plusieurs obstacles.
Objectif : créer localement
Un des objectifs principaux de la plateforme : développer ses contenus originaux. Mais pour ça Netflix doit réussir à trouver ses talents sur le continent africain. « Nous voulons passer à une autre échelle assez rapidement en termes d’offre que nous avons sur le marché, mais nous voyons qu’il y a un manque de producteurs hautement qualifiés sur ce marché », explique Ben Amadasun, responsable du contenu original et des acquisitions en Afrique chez Netflix à Africa News. « Nous travaillons très activement en soutenant les industries et l’écosystème avec des programmes de formation et d’autres initiatives que nous avons mis en place au cours de l’année passée ». Pour l’aider dans sa recherche de talents nationaux, la plateforme vient de nouer un partenariat avec l’UNESCO. Le duo organise jusqu’au 14 novembre prochain, un concours de court-métrage ouvert aux réalisateurs d’Afrique sub-saharienne sur le thème : ”des contes populaires d’Afrique réinventés”. Les lauréats remporteront la somme de 25 000 dollars « à titre personnel », détaille l’UNESCO et « bénéficieront d’une formation et d’un encadrement par des professionnels de l’industrie ».
Ils recevront également un budget de 75.000 dollars pour créer, produire et filmer leurs court-métrages qui seront diffusés en 2022 sur Netflix Africa. Une avancée quand on sait que pour l’instant, seules trois séries originales ont été tournées en Afrique : Shadow diffusée en 2019, Blood and water dont la saison 2 est disponible depuis le 24 septembre et Queen Sono qui vient de voir sa saison 2 être annulée en raison de la pandémie. Toutes ont été produites en Afrique du Sud, pays qui pour l’instant semble réunir tous les critères requis pour un développement rapide. La population parle anglais et le pays bénéficie déjà d’une scène artistique développée. Autre arrivée imminente : le film « Amina » basé sur l’histoire de la reine du même nom, une guerrière de l’empire Zazzau du XVIe siècle. Il sortira le 4 novembre prochain, avec plus de quatre années de retard. Parrainé par la Banque nigériane de l’industrie (BOI) le film avait été tourné en 2015 au Nigéria, la post-production aurait quant à elle été réalisée en Europe.
Entre passé colonial et présence forte de Canal +
Si l’on a mentionné Omar Sy au début de cet article ce n’est pas par hasard. L’acteur français, fils d’un père sénégalais d’origine peule et d’une mère d’origine mauritanienne parle aussi à une cible africaine. Selon Capucine Cousin, journaliste à l’Agefi et auteure de Netflix & Cie, Les Coulisses d’une (R)évolution, les présences d’Omar Sy dans la série originale Lupin, ou encore de Regé-Jean Page dans la série Bridgerton produite par l’Afro-américaine Shonda Rhimes, ont plusieurs objectifs. « D’un côté, Netflix montre qu’il s’adapte à son époque, en mettant en avant des personnages noirs, brillants, sexy, quitte à revisiter complètement l’histoire. Et d’autre part, la plateforme présente des acteurs qui peuvent parler à un public africain », explique la journaliste. Mais pour l’instant, le regard de Netflix se porte sur deux pays pour le développement de son catalogue Africa : le Nigeria et l’Afrique du Sud dont les populations parlent anglais. Les deux pays ont notamment des comptes Instagram et Twitter dédiés. Les pays francophones sont eux aussi étudiés mais l’audience sera plus difficile à séduire de par un passé colonial qui joue sur le spectateur selon Bernard Azria, PDG de la société ivoirienne Côte Ouest Audiovisuel.
« Le rêve américain est toujours présent, et cette esthétique séduit… alors que les productions françaises sont plutôt boudées. Il y a évidemment un rejet qui vient d’un sentiment post-colonial, et il faut aussi savoir que pendant des années la télévision française a offert gratuitement certains de ses programmes : Joséphine, Ange gardien et Navarro… qui étaient diffusés sur les chaînes de télévision locales. Mais ce qui est gratuit ne vaut rien ! », confie t-il lors d’un entretien à The Africa Report en mars 2021. Autre problématique à laquelle doit faire face Netflix, la présence qualifiée écrasante de Canal + en Afrique. En mars 2020 la chaîne cryptée comptait 4,89 millions d’abonnés à son service de télévision payant en Afrique. Une présence tentaculaire qui s’étale sur près de 40 pays du continent et qui charme les scénaristes africains les plus talentueux. La première acquisition majeure de Netflix dans l’Afrique francophone est d’ailleurs une série Canal+ Original. Sacko & Mangane, série sénégalaise de type polar/action a été tournée à Dakar, et est diffusée sur Canal + Afrique depuis 2019
Trafic et difficultés du réseau internet
En Afrique, Netflix doit aussi faire face à toute la complexité du territoire dont les irrégularités sont nombreuses. La Côte d’Ivoire par exemple ne bénéficie pas d’un bonne connexion internet, ralentissant l’implantation de services digitaux. La fraude à l’abonnement est également citée dans la presse locale. Il existe des revendeurs qui proposent un compte de leur abonnement à la plateforme (on peut avoir 4 comptes par abonnement Netflix) moyennant la somme de 3000 francs CFA (4,5 euros par mois). Un tarif plus cher que la version “premium” en France, qui est proposée à 15,99 euros, autrement dit 4 euros par mois. Autre difficulté qui s’ajoute sur la route de Netflix en Afrique, le liquide qui est l’un des moyens de paiement les plus utilisés sur place. Pour faciliter le versement de son abonnement Netflix veut permettre d’ajouter l’abonnement à sa facture de téléphone. Le géant américain a déjà conclu deux accords en ce sens avec des opérateurs téléphoniques en Afrique du Sud.
Alors quel sera l’avenir de Netflix en Afrique ? Selon les experts il faudra attendre deux à trois ans avant de voir les répercussions des investissements faits par la société américaine sur le continent. Entre temps, d’autres plateformes concurrentes pourraient-elles voir le jour ? Pas sûr quand on sait que le lancement d’Afrostream un service de VOD visant à mettre en lumière les contenus exclusivement africains, afro-caribéens et afro-américains, s’est soldé par un échec en 2017. Quasiment deux ans jour pour jour après son lancement, l’entreprise avait fermé ses portes.
21 octobre 2021