À Paris, une (modest) Fashion Week plus inclusive

Pour la cinquième année consécutive, Sabrina Tadrist, fondatrice du groupe Modest Fashion France (MFF), déploie sa Modest Fashion Week à Paris, qui prouve que la mode pudique a plus que sa place sur les podiums.

Crédit photo : c_lahess

Les 6 et 7 décembre derniers, en plein cœur du Marais, les fashionistas se sont réunies pour découvrir le nouvel espace annuel d’une semaine de la mode située en marge du calendrier officiel : la Modest Fashion Week. “C’était déjà notre cinquième événement. À chaque édition, on sent que l’attente grandit : les gens savent que ça arrive, ils l’attendent. Les créateurs de contenus communiquent énormément sur le fait que c’est l’événement de l’année, et ça, c’est vraiment cool”, se félicite Sabrina Tadrist, créatrice de la Modest Fashion Week parisienne. Retour sur une Fashion Week qui monte, et qui compte. 

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Un évènement très attendu

Du haut de ses 29 ans, celle qui a fait toute sa carrière dans la mode dite “classique” tente, il y a quelques années, de concilier son cheminement spirituel avec son goût pour l’habillement. “C’est à ce moment-là que j’ai commencé à collaborer avec des marques de modest fashion en France. Très rapidement, le projet a pris une autre ampleur. Ce qui était au départ un simple média est devenu, presque naturellement, une référence de la modest fashion en France“. Sabrina Tadrist n’en revient pas : ce qui avait commencé comme un projet en parallèle de sa carrière de freelance dans le marketing et la communication dans la mode prend une véritable ampleur. “Au départ, je voyais vraiment Modest Fashion France comme un réseau d’entraide. J’ai donc créé le projet sous forme d’association loi 1901. Mais avec le temps, la charge de travail est devenue énorme : beaucoup de sollicitations, énormément de demandes, de projets à gérer, de contenus à produire. On est ensuite devenu un média, sur les réseaux sociaux et sur le web, avec des articles présentant des marques, mais aussi des contenus lifestyle, mode et culture. Assez rapidement, on s’est rendu compte d’une chose essentielle : les femmes avaient besoin de se rencontrer, et les marques avaient besoin de présence physique, de pop-up, de boutiques éphémères, de moments forts. C’est comme ça que les événements sont nés”. Le premier a rassemblé près de 5000 personnes, avec trois défilés. 

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Et depuis, la Modest Fashion Week de Paris n’a fait que grandir. Si avant l’ouverture des portes, l’engouement était bien là, l’événement s’est révélé à la hauteur de toutes ces attentes.  Les retours qu’on a eus étaient incroyables. Les gens ont vraiment eu l’impression qu’on était encore passées à un autre niveau, que cette édition était meilleure que les précédentes. C’était hyper gratifiant. À tel point qu’on a dû fermer la billetterie : il y avait beaucoup trop de demandes. C’est d’ailleurs ce qui nous a poussées à créer un nouveau format, en complément de notre édition annuelle principale. Ce format s’appelle Momentum : ce seront des pop-up et des showrooms éphémères, avec moins de marques, sans défilé, et dans des lieux plus variés, y compris hors des grandes villes.”

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Une mode qui s’adapte

Qu’un événement pareil rassemble autant de monde dans le contexte actuel ne nous étonne pas vraiment. En faisant le bilan des dernières semaines de la mode (parisiennes, mais pas que), on a dressé le triste constat d’une perte de vitesse, à la fois en termes d’inclusivité et de créativité. Alors quand on souhaite s’habiller en accord avec ses convictions, les règles se durcissent et le vestiaire, lui, se rétrécit. En invitant une trentaine de créateurs à présenter leurs collections pudiques, Sabrina Tadrist montre que rien de tout cela n’est une fatalité et que l’on peut se vêtir sans se trahir, tout en le faisant de façon éthique, en s’amusant et en affirmant sa personnalité. “Pour être sélectionnées, on étudie le système de production des marques, la qualité des produits, l’histoire de la marque, son positionnement, son identité. Il y a aussi évidemment une partie administrative, énumère la fondatrice, Certaines marques sont refusées. On sélectionne volontairement des marques moyen à haut de gamme : par exemple, l’achat-revente ou les plateformes sans vraie identité de marque ne nous intéressent pas“. Pour elle, “la Modest Fashion se calque un peu sur la mode mainstream. La seule différence c’est qu’elle s’adapte. Par exemple, si la tendance est aux jupes plissées courtes dans le prêt-à-porter classique, les marques de modest fashion proposeront des versions plus longues, adaptées aux besoins de leur clientèle”. On assiste alors à un véritable changement de prisme : alors qu’on a l’habitude de demander aux femmes de se contorsionner pour incarner des tendances, dans la mode pudique, c’est toujours le vêtement qui s’adapte aux clientes. Et ça, ça change beaucoup de choses, notamment pour l’industrie française, encore très fermées quand il s’agit de changer son rapport au corps féminin.

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“En France, ce n’est pas encore hyper démocratisé, sauf à travers les marques spécialisées ou les événements dédiés, constate Sabrina Tadrist, À l’étranger, en revanche, c’est beaucoup plus courant : dans certains pays, la majorité des femmes porte des tenues qui relèvent naturellement de la modest fashion. Certaines marques mainstream proposent aussi des pièces oversize ou loose qui, de fait, s’inscrivent dans cette esthétique“. La femme d’affaires note aussi un certain opportunisme, dans un pays qui pointe souvent les filles qui auraient fait le choix de se couvrir. “Dans certains pays, notamment pendant le Ramadan, les marques développent des collections spécifiques, un peu comme les collections de Noël en France pour la mode mainstream, note-t-elle, En soi, le mécanisme marketing est le même. Ce qui peut déranger en France, en revanche, c’est quand cette approche est purement opportuniste : des marques peu inclusives le reste de l’année utilisent soudainement la modest fashion comme simple argument marketing. On a alors l’impression d’être de “bonnes clientes” à un moment précis, mais pas réellement les bienvenues le reste du temps.” 

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Envoyer le bon message

Avec sa Modest Fashion Week, Sabrina Tardist tient donc à proposer des marques pleinement en accord avec les valeurs des clientes musulmanes : qui ne se serviraient pas d’elles pour vendre, mais qui chercheraient au contraire à leur proposer des alternatives tendances et éthiques. “Notre démarche est très claire : faire par nous et pour nous. Consommer auprès de marques qui nous respectent toute l’année, pas uniquement quand ça arrange leur stratégie commerciale, affirme notre interlocutrice, En France, dès qu’une marque met en avant une femme portant le foulard, c’est immédiatement perçu comme religieux ou communautaire, alors que ce n’est pas du tout le cas ailleurs. Dans beaucoup de pays, c’est totalement normal et dépolitisé. On sait que ce sujet dérange, notamment médiatiquement, et on n’est pas naïves là-dessus“. Pourtant, le marché est là, et la demande existe. “On le voit très concrètement à travers la demande : billetteries complètes, marques refusées faute de place, multiplication des projets et des marques qui se lancent…”, souligne Sabrina Tardist. 

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Si la Modest Fashion Week parle vêtements, elle reste évidemment un événement politique par nature. Dès lors, plutôt que de gommer cet aspect là de sa manifestation, Sabrina Tardist l’embrasse, en proposant des talks de femmes inspirantes, qui prouvent que la manière dont on choisit de s’habiller ne doit jamais déterminer sa manière de se présenter au monde, ni la hauteur de ses ambitions ou la profondeur de ses failles. “Le premier talk portait sur “L’art de se relever”, dans lequel l’écrivaine Atika Trabelsi a partagé son parcours personnel, ses épreuves, sa manière de trouver la force de se relever. Elle a parlé notamment de l’hyper-compétence, du burn-out, du fait d’avoir tout arrêté à un moment de sa vie, et de cette réalité universelle faite de hauts et de bas. Son témoignage a beaucoup marqué, se souvient l’initiatrice de la Modest Fashion Week de Paris, Le second talk était axé sur les projets à impact. L’idée était de montrer comment utiliser les nouveaux outils de communication et les médias, pour soi-même, pour des marques ou pour des projets engagés. Les profils étaient très variés : experts en IA, en communication, créateurs, entrepreneurs. Il y avait beaucoup de tips concrets et de retours d’expérience. Le samedi à 17h, on a aussi organisé un open mic. Toutes les femmes porteuses de projets entrepreneuriaux, associatifs ou de création de contenus pouvaient prendre le micro pendant trois minutes pour présenter leur projet. Le concept a énormément plu. Là encore, on a dû limiter : les inscriptions se faisaient dès le samedi matin à l’accueil, et on a rapidement dû les fermer tant il y avait de demandes.”

Une célébration de la liberté de s’habiller, d’entreprendre, de s’exprimer, et de réussir, que l’on espère continuer de voir fleurir lors des décennies à venir.

22 décembre 2025

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