Les noirs ne peuvent pas s’aimer dans le cinéma mainstream français ?

Dadju et Kadidja Touré seront à l’affiche de « IMA », film dans lequel ils jouent deux personnages qui vont tomber amoureux. L’occasion de remarquer que les couples racisés sont complètement absents des comédies romantiques françaises.

Photo tirée de l’affiche du film « IMA » avec Karidja Touré et Dadju qui sortira le 11 mai prochain

Il y a bien ça et à quelques articles de blogs sur la toile française qui traite du sujet. L’inexistence des couples noirs, héros d’un film d’amour français ou d’une comédie romantique, est rappelé par quelques blogueuses. Mais rien de plus ou en tout cas pas de sujet de fond. Le manque d’acteurs et actrices noirs dans le 7ème art a lui bien été dénoncé. En 2018 seize comédiennes noires et métisses avaient monté les marches du Festival de Cannes suite à la publication du livre « Noir n’est pas mon métier », écrit par l’actrice Aïssa Maiga. Dedans elles y livraient leurs témoignages, épinglant les plaisanteries douteuses ou même racistes, entendues dans l’exercice de leur métier. Parmi elle, Karidja Touré, actrice révélée dans « Bande de filles » et qui est l’héroïne du prochain film de Nils Tavernier, aux cotés du chanteur Dadju. Dans « IMA », long-métrage qui sortira le 11 mai prochain en France, elle campe le personnage de Laetitia, une jeune femme qui va tomber amoureuse de Dadju, le tout dans le décor de la capitale du Congo, Kinshasa. Si le film se passe en Afrique, on s’interroge. Est-ce qu’on a déjà vu une comédie romantique centrée sur deux personnages noirs dans le cinéma français ? Ou même deux personnes racisées ? La réponse est si peu évidente qu’on est obligé d’aller faire des recherches sur Google.

Un peu, beaucoup, à la folie et surtout pas du tout

Dans le top des films d’amour répertoriés par Allo Ciné l’omniprésence des couples blancs en est presque gavante. En 21ème position on trouve enfin un acteur non caucasien en la personne de Gad Elmaleh qui s’acoquine avec Sophie Marceau dans « Un bonheur n’arrive jamais seul » sorti en 2012 et qui met en scène l’histoire d’un couple mixe. Un peu plus haut, un film de la française d’origine italo-tunisienne Reem Kherici, réalisatrice et actrice de son film « Jour J » et dont le personnage se fait appeler étonnement… Juliette. Là encore on s’interroge. Mais toujours pas d’acteur ou actrice noir, ni d’arabes, ni d’asiatiques. Et surtout aucune histoire d’amour dans un couple 100% racisé. Peut-être n’ont-ils fait que des navets ? Mais même dans la liste des bouses filmographiques mainstream on ressort bredouille. Force est de constater que l’amour de couples racisés n’est visiblement pas envisagé par le 7ème art français. Aimer aurait donc une couleur.

81% des personnages principaux d’un film en France sont perçus comme blancs. Un chiffre livré dans une étude du collectif 50/50 qui dresse un état des lieux de l’égalité femme/homme et de la diversité dans la production cinématographique française. 8% sont perçus comme arabes et 7% comme noirs. Ça fait peu de personnes pour se rencontrer au premier regard ça. Nora Bouazzouni, journaliste et écrivaine mais également aux commandes de l’émission Story Séries de la plateforme de streaming OCS, y voit une véritable stratégie commerciale de la part du cinéma français. « En France, mais aux États-Unis même s’ils ont de l’avance c’est pareil, on part du principe qu’un film qui met en lumière davantage de personnages non blancs que blancs est un film communautaire. Et donc qui ne va attirer dans les salles ou ailleurs que cette communauté là », nous explique t-elle. « Pourquoi ça serait un problème ? Ça j’en sais rien mais force est de constater qu’on ne se dit pas ça quand il n’y a que des personnages blancs. On ne se dit pas ça non plus quand il n’y a que des femmes blanches bourges, comme dans Sex and the City par exemple. On ne s’est pas dit attention cette série elle ne va attirer que les blanches bourgeoises hétéro. La blanchité s’érige en norme. Donc pour attirer le public le plus large, et visiblement le plus intéressant pour eux, on ne crée que des personnages blancs ».

Déshumanisation et assimilation

« J’aime donc je suis », écrivait la romancière majeure du XIXe siècle Georges Sand. Le sentiment amoureux humaniserait donc, participerait à nous rendre normal, à être et donc à exister. Serait-on alors bizarres, monstrueux, pathologiques… tout autant d’antonymes proposés, si nous en étions dépourvus ? La question suivante nous vient alors tout de suite en tête : le cinéma français participe t-il à retirer l’humanité des couples racisés ? Posons déjà les codes des comédies romantiques françaises. « On présente un amour normatif avec tout un tas de règles qui font les canons de la comédie romantique. Il faut être en couple, habiter ensemble, vouloir ensuite des enfants… Je pense à l’émission « Mariés au premier regard sur M6″ par exemple. Dedans on y voit des gens qui ont la trentaine et qui sont désespérés à l’idée de ne pas trouver l’amour. L’amour est placé comme une valeur qui est au dessus de tout. Si on n’est pas accompagnés on a une valeur proche de zéro pour la société », nous dit Nora Bouazzouni.

Elle poursuit : « je ne sais pas si j’irais jusqu’à dire que c’est déshumaniser les personnes non blanches. Et en même temps on leur donne des rôles caricaturaux, des rôles déshumanisants. Quand on prend un acteur arabe pour lui faire jouer un dealeur, un acteur noir pour jouer un homme violent, une femme asiatique pour interpréter une prostituée – et donc des professions ou activités qui sont mal rémunérées, pas reconnues, stigmatisées voir stigmatisantes, et criminelles pour certaines, on participe à leur déshumanisation. Invisibiliser la vie amoureuse ou même sexuelle de ces personnes, ça participe aussi à renforcer les contrastes entre la normalité dont peuvent jouir les personnes blanches versus les autres. En introduisant une certaine violence sur les sujets liés à l’amour, la profession, l’amitié c’est contribuer à les singulariser et à les invisibiliser« .

En réponse à l’absence d’histoire d’amour entre personnes racisées, le cinéma opte pour le (fameux) couple mixe. Qui existe évidemment dans notre société mais qui semble trop souvent se faire l’echo du phénomène d’assimilation. On ne grand-remplace pas les français quand on est un français assimilé visiblement. Marine Le Pen le dira d’ailleurs dans sa campagne présidentielle : elle n’a aucun problème avec les arabes de nationalité française. Elle en a simplement un avec le voile. Même si vous êtes une arabe de nationalité française. Hyprocrisie ambiante. Pour un racisme permanent. Un discours qui scie la branche de la démocratie. D’ailleurs qui ne s’est pas déjà entendu dire, si vous êtes immigré ou fils et filles d’immigrés, la remarque suivante : « mais toi tu n’es pas comme eux, tu es éduquée ». Entendons par là, tu es comme moi, tu me ressembles, donc tu es un bon français. Pas le barbare, celui qui ensauvage et grand remplace, même s’il est né ici.

« Les comédies romantiques en France sont hétéro centrées et complètement blanches. Ou alors on va avoir un personnage arabe masculin qui va sortir avec une femme arabe et qui soudainement va s’amouracher d’une femme blanche bourgeoise. Comme dans la série « Drôle » de Netflix par exemple. C’est hyper caricaturale », renchérit Nora Bouazzouni. « Il y a un côté assimilationniste. On va planter une personne de culture différente dans un univers chrétien, ou en tout cas français continental et là elle va devoir s’intégrer puis s’assimiler. On va parler de sa culture comme d’un folklore de façon humoristique, stéréotypée ou complètement exotique. C’est un peu le syndrome de la Schtroumpfette, où on ne va représenter qu’un unique personnage noir par exemple au milieu d’une bande de potes blancs ». Ou alors on va le « replacer dans un contexte exotique. Ou en tout cas qui va être exotisant pour un public non noir. En Afrique, par exemple, dans une cité…« .

L’espoir des primo-réals

Alors que les patrons de cinéma et les producteurs tentent d’enrayer la baisse significative de fréquentation dans les salles de cinéma en France, liée en partie aux nouvelles habitudes des français depuis la pandémie, la solution pourrait être là où ils n’ont jamais voulu la voir. « S’ouvrir à autre chose, à la jeunesse justement qui attend d’autres propositions que des histoires d’amour ou des films tout court, autour d’héros simplement blancs », termine Nora Bouazzouni, qui invite le public à se pencher sur les premiers films de jeunes réalisateurs. Ceux là même qui enrôlent de jeunes acteurs, davantage en adéquation avec la mixité. Tout comme nous l’écrit la critique de cinéma et sélectionneuse pour la Quinzaine des réalisateurs, mais aussi autrice du livre « Double Vague : Le nouveau souffle du cinéma français », Claire Diao. « Bien sûr qu’il existe des exemples de couples non blancs dans le cinema français mais ils sont le fait de réalisateurs émergents eux mêmes non blancs et moins considérés par les médias français. Je pense notamment à Sami Bouajila et Elodie Bouchez dans « La faute à Voltaire » d’Abdellatif Kechiche (2000), Laura Kpegli et Sekouba Doucouré dans « Donoma » de Djinn Carrénard (2011), Stéphane Soo Mongo et Sabrina Hamida dans « Rengaine » de Rachid Djaidani (2012) ou encore Soufiane Guerrab et Souheila Yacoub dans « De bas étage » de Yassine Qnia (2021) ».

Et dans les séries, alors ? « Dans « Scènes de ménage », regardée chaque soir par des millions de téléspectateurs, il y a eu l’introduction récente d’un couple mixte mais non blanc. Elle, est noire, cheffe cuisinière et lui est arabe et pompier. Et ça c’est chouette à une heure de très grande écoute », lâche Nora Bouazzouni. Sur Netflix aussi avec Mariama Gueye et Olivier Kissita dans « Drôle ». Toujours pas de quoi aller au cinéma ? Si mais en scrutant les sorties plus confidentielles.

« IMA » de Niel Tavernier sort le 11 mai prochain

5 mai 2022

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