Didi Stone, Le Juiice ou encore Kelly Massol, à l’affiche de la docu-série “Cheveux Afro”

Signé Rachel Kwarteng ce projet en 5 épisodes redonne ses lettres de noblesse au mouvement nappy en France, et plonge dans les mécanismes du monde du défrisage. Rencontre avec la réalisatrice.

Crédit photo : Wendel Nazaire

C’est un véritable révolution capillaire et surtout sociétale. Depuis plusieurs années maintenant de nombreuses femmes noires se délestent des diktats de la beauté qui les obligeaient à se lisser les cheveux. Récemment le député guadeloupéen Olivier Serva, réussi à faire passer à l’Assemblée nationale un texte qui vise à sanctionner la «discrimination capillaire», permettant ainsi à chacun de respecter sa nature de cheveux sur son lieu de travail. Particulièrement celles aux cheveux afro à qui on répète souvent que leurs cheveux ne sont pas professionnels. Dans son documentaire “Cheveux afro”, découpé en 5 épisodes de 12 minutes, Rachel Kwarteng, revient sur des années de discrimination dans la société française. Rencontre.

D’un défrisage raté au mouvement nappy

ANCRÉ : Quelle est ta définition du cheveu afro ?

Rachel Kwarteng : Je ne sais pas si j’en ai vraiment une. Récemment j’avais une conversation avec une de mes amies et pour elle le cheveux afro, les cheveux afro, c’étaient les cheveux crépus. Alors que pour moi ce sont les cheveux crépus, frisés, bouclés. Je n’ai pas vraiment de définition si ce n’est que ce sont les cheveux d’un d’une personne qui a une ascendance africaine.

Qu’est-ce qui a initié ta volonté de faire ce documentaire ?

RK : Ça part d’un défrisage raté. Je me suis défrisée pendant 12 ans, je voulais vraiment avoir les cheveux lisses, parce que j’avais eu l’habitude d’être comme ça. Je disais à mes amies et à ma soeur que les cheveux nappy ce n’était pas pour moi, que ça ne m’allait pas et que je voulais avoir les cheveux lisses. J’ai commencé à faire des défrisages moi-même, jusqu’au jour où je me suis brûlée l’arrière du crâne, ça a été une catastrophe. J’ai pris conscience que je n’avais pas envie d’être stressée avant chaque défrisage, par peur que ça se passe mal. Mais je voulais quand même avoir les cheveux lisses. J’ai fait un lissage brésilien, et ça a aussi été un raté. Je me suis alors demandé : « Pourquoi forcer ? Pourquoi je veux autant avoir les cheveux lisses ? ».

Et je ne suis pas la seule, c’est pareil pour les filles qui sont autour de moi, aux États-Unis, en Afrique et à Londres. J’ai réalisé qu’il y avait un problème. En faisant mes recherches j’ai vite compris que c’est un problème qui est lié à l’esclavage. Et si je pensais vraiment tout connaître sur le cheveu j’ai compris qu’il y avait une nécessité à faire un documentaire. Parce qu’on parle pas assez de nous, que peu de sujets sont portés sur la communauté afro alors qu’ils sont multiples.

Crédit photo : Wendel Nazaire

Le titre “Cheveux Afro” évoque à la fois une identité culturelle et une dimension physique. Comment as-tu abordé cette dualité dans ton travail de réalisation et d’écriture ?

RK : Il y a toujours ces deux aspects. En point de départ des conversations je suis toujours partie de l’enfance.Pour ensuite developper avec chaque intervenantes du doc, sur les évolutions à l’adolescence, en tant que jeunes femmes, jusqu’à aujourd’hui. Il y avait toujours des questions plus personnelles, puis d’autres d’ordre historique. On était aussi très dans le moment présent. « Aujourd’hui, ton cheveu c’est quoi pour toi ? Comment dans la société tu as été perçue par rapport à ton cheveu ? Est-ce que t’as des expériences par rapport à ça ? ». Pour les détails historiques je me suis orientées vers des spécialistes. En fait, j’ai vraiment ciblé en me disant que telle personne va me parler de son histoire, une autre d’expertise marketing. Par exemple, une coiffeuse formatrice, je me disais qu’elle parlera des cheveux d’un point de vue professionnel.

Un casting trié sur le volet

Didi Stone, crédit photo : documentaire “Cheveux Afro”

Comment as-tu sélectionné les 19 personnes qui interviennent dans le docu-série ?

RK : Avant de faire le documentaire, on a du faire un pilote pour montrer aux potentiels diffuseurs à quoi pouvait ressembler le documentaire qu’on voulait leur vendre. J’ai alors fait un appel sur Instagram et TikTok tout simplement, disant que je recherche des femmes noires et des femmes métisses pour mon documentaire. J’ai reçu énornement d’emails. Je ne m’y attendais et en même temps j’étais surprise, beaucoup des filles qui m’ont écrit avaient vraiment beaucoup de choses à dire sur leurs cheveux. Je leur posais les trois mêmes 3 questions – quel a été ton parcours capillaire dans l’enfance ? Quel est ton parcours capillaire aujourd’hui ? Est-ce que tu t’es défrisée ? – Je leur ai ensuite demandé de me lire leur réponse dans une vidéo pour voir si elles étaient à l’aise face caméra.C’est comme ça que s’est déroulé le casting pour les anonymes

Pour les autres comme Aïssé d’Afrikanista par exemple je lui ai demandé direct. De même pour Agnès Cazin, spécialiste en marketing et experte dans ce domaine. Elle organisait au même moment à Londres l’évènement de Lisa Price, qui a la marque Carol’s Daughter. Elle m’a dit de venir au plus vite à Londres pour la rencontrer. J’ai sauté dans l’eurostar. C’est un truc de fou parce qu’il s’agit vraiment d’une pionnière du mouvement nappy, elle a créé sa marque en 1993. Tout ça c’était il y a il y a un an et demi, avant que je sache que j’allais faire le documentaire. Pour Didi Stone et Le Juiice, on a échangé par mails et appels. La spécialiste Juliette Sméralda, qui a écrit « Peau noire, cheveu crépu », je souhaitais l’avoir dans le documentaire car elle a beaucoup réfléchi à la thématique. Elle était en Martinique mais a pu venir en France. Ce que je veux dire, c’est que tout le monde s’est rendu disponible pour cette cause.

Crédit photo : Wendel Nazaire

Je voulais vraiment qu’on soit devant de la diversité, parce que quand j’étais plus jeune, pour moi les africains avaient des cheveux crépus, c’est tout.

Rachel KWARTENG, réalisatrice du docu-série “Cheveux Afro”

Dans le documentaire, on y voit tous types de cheveux. Les cheveux afro c’est aussi les perruques, les locks. Ce n’est pas que l’afro presque fétichisée désormais.

RK : Je voulais avoir plusieurs types de cheveux et je voulais aussi avoir plusieurs couleurs de peau. En fait, je voulais de la pluralité dans cette culture qui est africaine et donc avoir des peaux noires qui soient foncés, claires, des cheveux crépus avec des femmes à la peau claire, des cheveux bouclés avec d’autres à la peau foncée. Je voulais vraiment qu’on soit devant de la diversité, parce que quand j’étais plus jeune, pour moi les africains avaient des cheveux crépus, c’est tout. En grandissant, je me suis rendue compte que l’Afrique est tellement vaste, il y a tellement de pluralité de cheveux que ce soit même aux Antilles.

Je savais aussi qu’en faisant un documentaire comme ça, on allait regarder la personne qui se trouve derrière le film et si elle était légitime pour faire une réalisation de ce genre. Je voulais en tout cas que ce titre soit un statement : « Cheveux Afro », c’est tout. Les personnes qui m’ont parlé ce sont des personnes qui ont les cheveux afro. Je voulais également qu’il n’y ait que des femmes noires dans le film. On m’a proposé des femmes arabes et des femmes blanches qui ont les cheveux bouclés et j’ai refusé car je voulais me concentrer sur les cheveux afro et les femmes noires.

Clarisse Libène, créatrice de Bellebene, premier e-commerce français dédié aux produits capillaires afro.
Crédit photo : Wendel Nazaire

Pourtant il y a des personnes qui sont arabes et qui ont les cheveux crépus.

RK : Absolument, mais comme j’étais partie de mon histoire et de celles d’autres filles noires, il y avait déjà tellement de choses à dire sur nous, que si je rajoutais beaucoup de récits j’avais peur qu’on se perde. D’autant plus qu’un épisode dure 12 minutes. Il fallait rester concentrer et ne pas aller dans trop de réflexions au risque de s’y perdre. Par exemple, dans mon documentaire il n’y a pas d’hommes noirs car je voulais me centrer sur les es femmes noires et sur cette problématique. Je souhaitais une pluralité dans la culture africaine noire, dans la culture afro. Quand je dis africaine, j’entends les antillais, les afro-américains, les afrodescendants noirs.

Pourquoi était-ce important pour toi de donner la parole à Kelly Massol ? Sa marque, Les Secrets de Loly, est souvent décriée pour ne pas valoriser suffisamment les cheveux crépus, qu’en penses-tu ?

RK : J’ai voulu interviewer Kelly Massol parce que je voulais parler des pionnières, de celles qui avaient été à l’initiative du mouvement (nappy) en France. On parle beaucoup du mouvement aux États-Unis, mais en France il y a eu forcément un début. En faisant mes recherches, quand je posais des questions, le nom de Kelly Massol revenait souvent. Il y avait Clarisse Libène, Aline Tacite aussi, et il y avait Kelly Massol qui avait créé le forum « Boucles et Cotons », je voulais vraiment parler de ce début-là.

Les Secrets de Loly ce que j’en pense : chacun fait ses choix. C’est la même chose pour Lisa Price qui aujourd’hui a vendu sa marque à l’Oréal. Dans le documentaire j’aborde avec elle le fait que beaucoup de personnes le lui reprochent. Je ne peux pas critiquer les décisions de chacun, je vais juste voir ailleurs si je ne suis pas contente de la marque.

Kelly Massol, fondatrice de la marque pour cheveux texturés Les Secrets de Loly

Repenser la place des médias

En quoi penses-tu que la représentation médiatique des cheveux afro a évolué ces dernières années ?

RK : Ça a évolué dans notre communauté, mais je ne sais pas si ça a vraiment évolué dans la société. Pour moi ce n’est pas qu’une question de cheveux finalement, les gens ont un problème avec les cultures que nos cheveux reflètent. Ça devient aussi un marché qui rapporte de l’argent, il y a des marques qui reprennent le mouvement, et on va voir plus de femmes noires dans les pubs parce que les cheveux afro ça rapporte. Mais quelles sont les vraies motivations des personnes qui nous représentent plus qu’avant ?

Crédit photo : Wendel Nazaire

Revaloriser les cheveux afro

À travers les différentes époques et mouvements sociaux que tu explores, quelles sont les évolutions les plus marquantes que tu as observées en ce qui concerne la perception et la valorisation des cheveux afro ?

RK : Quand je me suis défrisée, que j’ai fait ce défrisage raté et que j’ai commencé à m’interroger, je suis très vite remontée à la question de l’esclavage. Avant l’esclavage, les civilisations africaines n’avaient pas de problème avec leurs cheveux, ce n’était même pas un questionnement pour eux. Je me rends compte que notre histoire commence là. C’est quelque chose qui m’a fasciné, ça m’a un peu interpellé parce que je me suis dit qu’on devrait revenir au point de départ. En fait il n’y a pas de problème, je suis née avec ces cheveux. Quand je parle avec ma mère et que je lui demande si elle s’est défrisée avant de venir en France, elle me dit que non, le défrisage ce n’était pas un sujet pour elle. Ça l’est devenu quand elle est venue en France.

Les cheveux afro sont souvent politisés, notamment dans le contexte des mouvements comme celui des Black Panthers. Comment ta série aborde-t-elle cette dimension politique ?

RK : Je ne voulais pas dire que le cheveu afro n’est que politique, parce qu’aujourd’hui quand tu portes tes cheveux en afro, ça va toujours être lié aux Black Panthers. Alors qu’on n’a pas vécu cette histoire, mais quelque part ça aura toujours une connotation politique. Le cheveu lisse n’est pas politique, donc pourquoi toujours revenir à donner cet aspect-là au cheveu afro ? À la fin des conversations, il y a des filles qui disaient que ce sont juste leurs cheveux, parce que je pense qu’elles ont aussi un peu marre de toujours rendre le truc hyper important. Donc, on a abordé toutes les facettes : politique, économique, sociale, mais je n’étais pas focus sur cheveux afro = cheveux politiques, parce que ce n’est pas que ça.

Le docu-série “Cheveux Afro” sera disponible gratuitement sur la chaîne de TV5MONDEplus dès le 24 avril.

Crédit photo : Wendel Nazaire

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24 avril 2024

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