Lettre à mon ancienne moi qui se blanchissait la peau

Aux femmes naturelles,
Aux femmes africaines,
Aux femmes du monde,
Chères sœurs,

J’ai envie de vous raconter une histoire. Mon histoire. Celle d’une gamine de 15 ans qui pensait qu’être plus blanche c’était être plus belle.

La dépigmentation. Mon amie, mon ennemie je t’ai rencontré à mon adolescence, un âge où l’avis des autres est très vite pris en compte. Un âge où la considération de soi passe par la validation de ceux qui, sans le savoir, à chaque fois qu’ils me comparaient à mes copines, à mes soeurs, débouchaient avec leurs mots le flacon de mon éclaircissant facial.

« Mais pourquoi voudrais-tu te dépigmenter alors que tu n’es encore qu’une gamine ? », me dit ma mère quand je feins de lui expliquer que le produit blanchissant allait soigner mon acné. Je me suis cachée derrière ça, un teint unifié, uniforme, sans bouton, sans ce que je considérais comme ma plus grosse imperfection. Sans ma couleur noire.

16 ans – « Tu deviens belle maintenant hein ! ». Les garçons me regardent davantage. Un an d’éclaircissement et c’est presque comme dans les pubs : Vanish et les tâches s’évanouissent. Mon détergent à moi il est psychologique. Plus je suis claire plus les gens disent que je suis belle, plus mon cerveau devient accro à l’appréciation des autres. Vulnérabilité quand tu nous tiens, avec un flacon d’éclaircissant dans une main, et ton sourire en bandoulière. Mon sourire toujours plus blanc que ma peau. Mon coeur toujours plus noir de douleur. Mais tant que c’est noir à l’intérieur.

18 ans – J’écoute ma tante, je fais une première tentative d’arrêt depigmentaire suite à ma prise de contact avec le dermatologue. J’échoue au bout d’un mois. Je ne peux plus supporter les « Tu deviens vilaine », « Avant tu avais un joli teint pourquoi t’as arrêté de te dépigmenter », « Avant t’étais plus belle » . J’efface les remarques à coups de pommade. Je les gomme jusqu’à ce qu’elles disparaissent. C’est comme ça qu’on efface une rature non ? On gomme si fort que parfois on en fait un trou dans la page. Mon trou à moi ça va être la petite tumeur qu’on me découvre près du sein.

Elle est bénigne mais le fil cousu sur ma poitrine suite à mon opération mammaire ne tient pas. Il se détache, ma chair est apparente. J’ai peur. Je cicatrice de nul part. Ni de ma tête ni de mon corps maintenant. Le docteur lui comprend tout de suite :« Tu te dépigmentes ? ». Oui. Je m’excuse auprès des âmes sensibles mais je veux que vous compreniez que ces produits ont bien plus d’effets secondaires que vous ne pourriez l’imaginer. Ma peau que je voulais claire ne se referme plus à cause de ces produits qui l’ont fragilisé. Moi qui voulait être forte, pleine d’assurance, je suis devenue fragile. Plus fragile encore.

Le déclic. Il arrive plus tard, bien après l’histoire du fil qui ne tient pas et de ma peau qui ne cicatrise pas. J’aurai finalement attendu une crise d’acné sévère pour arrêter de me dépigmenter. Serpent qui se mord la queue hein. Je me fais mordre aussi par les remarques des mères de mes copines : « On ne t’avait pas reconnu !« . Je suis moi et pourtant on ne me reconnait pas ? Je veux redevenir une claire.

« Je te trouve très belle ». Cette phrase elle est prononcée par la toute première personne qui m’a vraiment accepté avec ma teinte foncée. Un ami qui partage ma vie. Mais je ne veux pas oublier non plus ceux qui autour de moi ont tenté de me faire revenir à la raison, ceux qui voulaient que j’embrasse ma couleur de peau. « Mina essaie des bons produits pour femmes noires s’il te plait« .

Je suis noire. Je suis une femme noire. Je suis une belle femme noire. Je suis fière d’être une belle femme noire. Plus personne ne pourra m’enlever ça. Même pas moi même.

Aux femmes du monde,
Aux femmes africaines,
Nous sommes l’Afrique,
Même si personne ne te le dit, je te le dis ici. Tu es une belle femme noire.

Aminatou Traore.

Après avoir témoigné sur Twitter, Aminatou a accepté de se livrer à ANCRÉ. Depuis Bamako (Mali) elle nous a écrit cette lettre. Merci à elle.

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