Beyoncé peut-elle conquérir le marché français avec Cécred ?

Analyse de cette nouvelle ligne de produits pour cheveux texturés qui ne fait pas l’unanimité dans l’hexagone.

Beyoncé pour le lancement de Cécred – Crédit photo : Cécred

Le 20 février dernier, Beyoncé a dévoilé Cécred, sa nouvelle marque dédiée au haircare. Derrière ce mot porte manteau dont le est tiré du prénom de la superstar, et le cred issu du mot sacred qui signifie sacré, est née la volonté de transmission des soins que la chanteuse a reçu par sa mère, ancienne coiffeuse. Un storytelling renforcé par une séance photo publiée conjointement au lancement dans le magazine afro-américain Essence, et dans lequel Beyoncé se fait coiffer par sa mère, tout en coiffant elle même son ainée Blue qui coiffe sa petite soeur Rumi. Derrière la belle histoire familiale, les cheveux de Beyoncé ont toujours été un sujet chez les communautés noires. La superstar étant souvent accusée de porter des perruques et non ses cheveux au naturel, participant à promouvoir une figure de réussite ressemblant davantage à la femme blanche. Alors comment a été accueilli Cécred en France ? La stratégie marketing de Beyoncé peut-elle payer dans l’hexagone ? Rien de moins sur.

Beyoncé avec sa mère Tina Knowles et ses filles Blue Ivy et Rumi pour Essence
Crédit photo : Andre D. Wagner/ESSENCE

La France n’a pas attendu Beyoncé

Si le story-telling et l’identité de marque ultra léchée plaisent, on peut se demander si l’on avait vraiment besoin d’une énième marque proposée par une célébrité, surtout sur le marché français qui depuis plus de dix ans ne cesse d’être dynamité par des femmes entrepreneuses qui ont répondu aux demandes d’une clientèle trop souvent laissée de côté. Comme le rappelait Kelly Massol, fondatrice des Secrets de Loly : “Le marché des produits capillaires pour cheveux texturés, c’est-à-dire pour cheveux crépus, frisés, ondulés ou bouclés, a toujours été un marché mal adressé avec une distribution de niche alors qu’en France, six personnes sur dix n’ont pas les cheveux raides. C’est un problème sociétal car c’est une population lésée en termes de produits et de services”.

Alors Cécred est-elle réellement une nouvelle gamme utile et pertinente en 2024 ? Jennifer Padjemi, journaliste et auteure du livre « Selfie : comment le capitalisme contrôle nos corps (2023) », répond par la négative. « En dehors des nombreuses marques lancées par les célébrités, on est déjà dans une économie ou il y a énormément de marques pour les soins capillaires. Pour les cheveux crépus et texturés, on a longtemps souffert d’un manque de disponibilité en France, mais aujourd’hui ce n’est plus du tout le cas », nous confie t-elle.

Image tirée d’une campagne publicitaire de la marque française La Belle Boucle

« C’est très facile de se fournir en produits pour cheveux crépus, notamment de marques françaises. Aujourd’hui, une célébrité qui lance une marque de soins capillaires, ça ne sert pas à grand chose, car le marché est saturé. Cécred arrive à un moment où on n’en a plus besoin. Il y a 10 ans, ça aurait été totalement différent. Cela peut convoquer quelque chose chez les gens de voir une star mondiale parler de nos cheveux, mais je pense qu’on n’en est plus à ce stade de représentation. », poursuit-elle. Les Secrets de Loly, Madame la Présidente, Kalia Nature, La Belle Boucle, Evas Hair… les marques françaises offrant produits et services divers jusqu’au salon de coiffure dédié aux cheveux texturés se sont démocratisées notamment sur le segment de la « clean beauty ». Adoptant comme stratégie marketing le dialogue direct avec leurs clientes bien souvent choisies comme égéries de marque et VRP. La technique du bouche à oreilles semble bien plus convaincante que les grandes campagnes publicitaires de L’Oréal et autres mastodontes.

Les visuels proposés par Cécred se rapprochent plus d’un L’Oréal que d’un Secret de Loly

Nombreux aussi ont été les mouvements nappy (fusion des mots « natural » et « happy ») pour mettre en valeur les cheveux bouclés, crépus et texturés ces dernières années en France. Ajoutez à cela le nombre grandissant de blogueuses et youtubeuses francophones qui ont proposé de plus en plus de tutoriels et de routines de soin pour cheveux. À plus grande échelle physique, des initiatives comme la Natural Hair Academy, évènement annuel qui célèbre les cheveux bouclés et crépus en région parisienne depuis 10 ans, ont largement participé à convaincre les clientes que les marques françaises avaient de quoi concurrencer les américaines. Tout en renforçant le sentiment d’appartenir à une grande famille et de participer par la même occasion, à la réussite d’une entrepreneuse française. Car au delà de leurs produits, ces entrepreneuses sont de véritables leaders et modèles de réussite. On s’identifie davantage à une Kelly Massol, fraichement enrôlée par M6 dans le jury de l’émission « Qui veut être mon associé ? » qu’à une Naomi Campbell en Une de magazine ou à une Beyoncé en patronne de marque de beauté.

Crédit photo : M6

Beyoncé, un modèle pour la France ?

Si le girl power de Beyoncé a imprégné la planète, qu’elle est devenue une des leadeurs afro-féministes, il serait réducteur de réduire les femmes noires à une seule icône. C’est ce que questionnait l’autrice Axelle Jah Njiké, dans la série documentaire « Je suis noire je n’aime pas Beyoncé » diffusée sur France Culture. Jennifer Padjemi rappelle également le principe de l’afro-taxe. Un équivalent de la pink taxe pour les femmes noires et conceptualisé par la journaliste.

« L’afrotaxe c’est tout ce qu’on paie tant que femme noire, aussi bien moralement que financièrement. C’est la différence de prix, d’accessibilité et même l’impact que ça aura sur nous au niveau de la santé. C’est tout ce qu’on paye en plus pour nos soins esthétiques ou capillaires.  C’est toute la charge raciale et émotionnelle supplémentaire que les autres, n’ont pas Les produits Cécred coûtent entre 40€ et 100€. On sait qu’un shampoing pour cheveux dits «normaux» coûte maximum 7€ en supermarché et 30€ dans des boutiques spécialisées. Cécred est donc sur une gamme supérieure. Dans un paysage où il y a déjà beaucoup de produits capillaires, avec des frais de transports élevés, on peut se demander quel prix on est prêt à payer pour tester une marque de célébrité. Les produits proposés ne sont pas accessibles et il faut déjà avoir un certain porte-monnaie pour se les procurer ». 

Sur Youtube la marque peine à faire des vues

En surfant sur la tendance du Quiet Luxury (Le luxe sobre, ndlr) avec un packaging épuré, et connaissant la popularité de Beyoncé on peut se demander si la France fait partie de la feuille de route de la marque. D’après la journaliste, « les produits ciblent les personnes afro-descendantes, mais pas que. Parmi les images et les influenceurs.euses qui ont déjà reçu les produits, il y a tous types de personnes. Se procurer une marque de célébrité est une manière d’acheter un fantasme ou une identification. Dans ce cas précis, c’est aussi l’occasion pour le public fan de Beyoncé qui n’a pas pu assister à ses concerts par exemple dont les places étaient parfois hors-de-prix, de s’offrir un bout de la célébrité à travers le produit. Par ailleurs, les inscriptions sont écrites à la fois en français et anglais parce qu’il y a l’idée de toucher le marché afro descendant en France« . 

En revanche « ce qui manque peut-être au public, c’est l’incarnation. L’idée d’avoir une accessibilité à cette star qui d’habitude est si lointaine, qui tente de se rapprocher en proposant quelque chose qu’elle aussi pratiquerait dans sa routine. Il manque d’intimité, car cela paraît très froid de prime abord, c’est peut-être cela qui a manqué. Mais ce n’est que le début, à voir pour la suite », précise Padjemi. On notera également que sur le marché des produits de beauté ce sont souvent les influenceuses et bloggueuses spécialisées qui peuvent propulser un produit. Beyoncé et son équipe ne semblent pas les avoir ciblées pour le démarrage de Cécred. La stratégie marketing qui ne semble reposer que sur la notoriété de Beyoncé sera t-elle payante ?

Les premiers retours sur la marque en France

Les produits viennent tout juste de sortir, mais des premières revues françaises et américaines sont déjà en ligne. Si plusieurs internautes ont testé les produits en direct sur TikTok et affirment un résultat satisfaisant, encourageant les autres à commander, d’autres comme La Petite Gaby, spécialiste des cheveux bouclés en France et Yanissa Xoxo ne sont pas convaincues. Une épine dans le pied de Cécred, ces deux dernières figurant parmi les plus influentes sur le secteur du cheveux et de la beauté en France.

Alors est-ce que la nouvelle technologie : le Bioactive Keratin Ferment actuellement en instance de brevet et qui consiste à récupérer de la kératine grâce à une technologie faite de laine, de miel et de ferment lactobacillus, développée par l’équipe de Beyoncé suffira à convaincre ? Pas sûre que l’abeille butine gracieusement en France.

@carlyshair Yanissa donne son avis sur @Cecred ⚠️ #cecredreview #beyonce #cecred4chair #cecredavis #fyp #cheveuxcrepus #routinecapillaire #naturalhair #pourtoi #poussecheveux #naturalhair #pourto #routinecapillaire #cheveuxafro✊🏾💇🏾‍♀️ #afrohair #fypシ #cheveuxnaturels #blackownedbusiness @Beyoncé @Yanissaxoxo ♬ Aesthetic – Tollan Kim

28 février 2024

Previous Article

Les cheveux en héritage

Next Article

5 livres d’autrices noires francophones à lire pour le Black History Month 

Related Posts
Lire la suite

Ne cachez plus ce bonnet de nuit

Cinq jeunes femmes nous racontent pourquoi elles n'ont plus de complexe à porter cet accessoire destiné à protéger leurs cheveux même en dehors de chez elle.