Aussi célèbre pour ses films que pour sa montée des marches, le Festival de Cannes révise son protocole vestimentaire et dit adieu aux robes transparentes et autres traines XXL.
À l’aube de sa 78ème édition, le Festival de Cannes a tenu à prévenir les invitées : cette année, c’est “tenue correcte exigée”. Si cette mention a toujours figuré sur les cartons d’invitation de la grand-messe du cinéma, elle ne faisait jusqu’alors que référence au dress code exigeant des projections, rendant les smokings et robes de soirée obligatoires. Mais quelques jours avant le lancement de cette nouvelle édition, les organisateurs ont souhaité apporter des précisions. Récemment mise à jour, la charte officielle annonce ainsi que “les tenues, en particulier les traînes longues, dont le volume entrave la bonne circulation des invités et complique l’assise dans la salle, ne sont pas autorisées.” Un argument qui, s’il déçoit les amatrices de tenues extravagantes que nous sommes, s’entend pour des raisons pratiques. Mais le problème, c’est que cette injonction est précédée d’une drôle de mention : “pour des raisons de décence, la nudité est interdite sur le Tapis rouge, ainsi que dans tout autre lieu du Festival.”
Un dress code plus politique qu’il n’y paraît
Devenue un véritable podium à part entière au fil des ans, la Croisette a vu défiler pléthore de “naked dress” et autres tenues scandaleuses, de Cameron Diaz à Bella Hadid en passant par Naomi Campbell. Pour autant, le champ lexical choisi par les équipes du festival nous a rapidement interrogé. “Nudité”, “décence” … Visant majoritairement des tenues féminines, ce nouveau dress code est-il un symptôme de la montée du puritanisme et, allons plus loin, du sexisme ? Dans sa story Instagram, la styliste Karla Welch a rapidement épinglé le festival : « Quelqu’un peut-il me donner une robe transparente ? Je montrerai à Cannes ce qui est décent. C’est CHIANT, PATRIARCAL et NUL ». Intervenue à peine 24h avant l’ouverture du festival, cette décision apparaît pour beaucoup comme une tentative de contrôle du corps féminin.
De son côté, la journaliste Juliette Lecuyer interroge et résume dans un article du Elle, : “Assiste-t-on à un retour à l’ordre moral concernant le vestiaire féminin ? Car si certains jugent ces tenues provocantes, d’autres les voient comme un outil de réappropriation, un manifeste de liberté. La naked dress n’est pas qu’un effet de mode : elle est aussi un geste politique, une remise en question profonde de la femme objet. Une manière de bousculer les codes, d’interroger les normes imposées aux corps féminins. Et si finalement, ce n’était pas la robe qui était indécente… mais le regard qu’on pose dessus ?”
“The Cannes Film Festival dress code is yet another example of how women’s bodies are constantly policed” https://t.co/dT8VEnYTm3
— Stylist Magazine (@StylistMagazine) May 13, 2025
Une longue tradition de scandales
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le dress code du Festival est accusé de sexisme. En 2015, l’organisation avait notamment interdit à des femmes l’accès au tapis rouge de la projection de “Carol”, de Todd Haynes en 2015, car elles ne portaient pas de talons hauts. Pris à parti par l’actrice Emily Blunt, l’organisation avait parlé d’un simple “malentendu”. L’édition suivante, la superstar Julia Roberts avait oté ses escarpins une fois le cordon de sécurité franchi et avait osé la montée des marches pieds-nus. Et bizarrement, ici, personne n’avait essayé de l’arrêter. Alors, faut-il s’attendre à un deux poids deux mesures pour le port de tenues trop légères ?
En réduisant les possibilités vestimentaires des femmes, le Festival de Cannes risque également nous priver de nombreux moments modes, qui ont contribué à créer de nouveaux modèles de liberté pour les femmes. Pensons notamment au soutien-gorge (i)conique Jean-Paul Gaultier porté par Madonna en 1991, au tailleur-string-culotte de Victoria Abril en 1997, aux aisselles non-épilées de Julia Roberts en 1999, aux mocassins plats de Kristen Stewart en 2018 ou encore au décolleté Schiapparelli de Bella Hadid en 2022. Des tenues qui, si elles sont apparues comme scandaleuses à leur époque, ont toute permis de faire évoluer les moeurs et contribué à l’emancipation du corps féminin.
Une chose est sûre : alors que l’édition 2025 se veut être “engagée pour la parité et conscient de l’enjeu que représente l’égalité femmes-hommes” et que le jury – présidé par Juliette Binoche – est majoritairement féminin, ces injonctions sont particulièrement mal venues. Invitant les femmes, sous couvert de décence, à reculer d’un pas sur un tapis rouge et à ne surtout pas se faire remarquer. Ni par leur extravagance, ni par leur corps dévoilé. Et ça, Cannes, ce n’est pas très féministe.
13 mai 2025