Rester belle derrière les barreaux

Dans le milieu carcéral, peu de place est accordée à la féminité. Alors pour prendre soin d’elles et retrouver un semblant d’humanité, les détendues regorgent d’ingéniosité. Jusqu’à ce que leur système D inspire TikTok.

Mugshot de JT, ancienne membre du groupe de rap City Girls

Condamnée pour fraude à la carte de crédit puis libérée en 2019, JT, ancien membre du groupe de rap City Girls, l’avoue dans un entretien accordé à The Cut : la prison a changé son rapport à la beauté. Elle y a notamment appris l’importance de laver son visage à l’eau froide grâce à ses codétenues qui “connaissaient toutes les petites astuces” en matière de skin care, mais aussi à détourner des objets du quotidien. “En étant enfermée, la beauté était essentielle. J’utilisais des m&ms si je le pouvais, pour mettre de la couleur sur mes lèvres, ou les coussinets des écouteurs pour en faire des pinceaux”, raconte-t-elle lors d’un “chit chat makeup” filmée par le média américain.

Si elle bénéficie d’une popularité certaine due à sa musique, la rappeuse met surtout en avant un sujet d’importance capitale : comment renouer avec la féminité et plus largement, l’humanité, lorsque l’on est incarcérée ?

Regagner en confiance en soi

Des astuces beauté en prison, on en retrouve en grand nombre sur TikTok, sous les hashtag #jailmakeup ou #prisonmakeup. Parmi elles, une vidéo cumulant près de 5 millions de vues sur la plateforme montre une détendue américaine expliquant à un gardien la manière dont elle a détourné des objets parfaitement légaux derrière les barreaux en produits de beauté (avant de tout se faire confisquer).

@mirandaposh

I think she was doing it to feel better about herself, wby? #jail

♬ Candy Makeup Challenge – Miranda Posh

L’extrait, devenu viral, a surtout donné naissance à d’autres tutos prodigués par des influenceuses passées par la case prison. “Cela m’a aidé à surmonter les 17 années de prison”, explique @Taylorbnice, dont la vidéo de fabrication d’un fond de teint maison à partir de farine, cacao en poudre et soda a été likée plus de 2 millions de fois. 

De quoi mettre en lumière le quotidien des femmes dans les prisons, qui, en ne représentant “que” 3,9% de la population carcérale mondiale, ne sont pas considérées ni par la société, ni par les responsables de ces infrastructures. “L’expérience carcérale est, par définition, déshumanisante, rappelle Mahlia Lindquist, directrice exécutive de Ladies Empowerment and Action Program (LEAP) à BuzzFeed, Et pour les femmes, une grande partie de notre estime de soi est liée à ce que nous faisons par rapport à l’hygiène et le soin. Nos cheveux, nos ongles, notre maquillage… J’ai vu beaucoup de créativité pour se maquiller en prison.”

Une détendue de Los Angeles découvrant sa nouvelle apparence.
Crédit photo : The Providence Journal

Une porte vers la réinsertion 

En France, dans la prison pour femme de Rennes où 271 femmes de 18 à 70 ans purgent une peine en moyenne de 12 ans, chaque semaine, une socio-esthéticienne (dont la venue est prises en charge par le SPIP (service pénitentiaire d’insertion et de probation) et une coiffeuse interviennent pour offrir ce sas d’humanité aux détendues. “Quand on est incarcéré, on se demande ce qu’on est, vu qu’on est plus rien, résume tristement l’une d’entre-elle à Marie-Claire, Quand on entre ici, on est rien, c’est sec, on sent rien. Avec mon parfum, j’ai retrouvé celle que j’étais. C’est le pas-grand-chose qui change tout. Un coup de pschitt-pschitt et je suis une femme.” “C’est un plaisir de se maquiller, dans un miroir on a besoin de se trouver belle, ça fait du bien au moral. Il ne faut pas voir toute notre vie en noir, il faut lui donner un peu de couleur, un peu de positif même si nous avons fait des erreurs avant”, explique une autre détendue de la même prison, cette fois-ci à France 3.

De l’autre côté de l’Atlantique, si ces initiatives sont rares, certains centres pénitenciers pour femmes exploitent tout de même le désir de maquillage des détenues pour leur proposer des formations afin d’obtenir une licence de cosmétologie. C’est notamment le cas au Central California Women’s Facility, au sein duquel la professeure Elsa Lumsden assure des cours depuis 13 ans. De quoi offrir une porte de sortie aux détenues : « Ces compétences de vie m’ont changé. Je suis partie de rien pour arriver à quelque chose. Je n’avais aucune estime de moi, je n’avais aucune confiance en moi, je ne croyais pas en moi. Ces compétences de vie m’ont donné de l’espoir. J’ai confiance en ce que je fais, » a d’ailleurs confié l’une d’entre elle.

@prison_story

We didn’t have crayons or hot pots in jail but I heard a girl in receiving talk about how her county did. #prison #makeup #jail #hacks

♬ original sound – Amanda Dove ❤️

Renouer avec sa féminité pour renouer avec la réalité

Si elle n’a pas bénéficié d’une telle formation, sur TikTok, c’est également le maquillage qui a permis à Amanda Dove de se réinsérer dans la société : “C’est tellement rafraîchissant de voir que les gens sont prêts à donner une chance à une ancienne détenue et à une ancienne toxicomane, raconte celle qui est devenue influenceuse au million d’abonnés sur son compte @prison_story, où elle raconte son passé derrière les barreaux et revient sur ses astuces beauté avec trois fois rien, Plus les gens me voient, plus je me sens à l’aise avec moi-même.”

“Permettre aux femmes d’utiliser la beauté comme moyen d’expression restaure la dignité et l’humanité”, conclut Tiawana Brown, ancienne détendue et fondatrice de l’association à but non lucratif Beauty After The Bars, toujours pour BuzzFeed, Nous ne sommes pas des détenues, nous ne sommes pas des condamnées, nous ne sommes pas des numéros. Nous sommes des mères, des grands-mères, des filles, des tantes, des épouses, des cousines et des amies. Soyons libres d’exprimer notre beauté.”

30 janvier 2025

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