Les modèles soudanaises ne sont pas vos Cendrillons

Une enquête du Times révèle que des agences recrutent des mannequins au sein d’un des plus grands camps de réfugiés au monde. Derrière la promesse d’une vie meilleure se cache un white saviorism saupoudré d’esclavagisme moderne.

La modèle Alek Wek, réfugiée soudanaise pour The Wild Magazine

La Femme noire, qui auparavant était inexistante sur les couvertures de magazines, snobée en casting ou se faisait rare sur les podiums, se retrouve aujourd’hui objet de convoitise et nouvel étendard d’une mode qui célébrerait la diversité et l’inclusion. Certaines agences de mannequins et leurs agents n’hésitent pas à se rendre en Afrique, plus précisément entre le Soudan et le Kenya, pour dénicher la nouvelle Alek Wek ou Duckie Thot dans des camps de réfugiés comme le révèle une enquête de The Sunday Times. À la clé pour les plus “chanceuses”, le rêve ultime : celui de quitter la pauvreté et de devenir la nouvelle It-girl, chouchou des marques, avec un salaire à plusieurs zéros. Du moins, ce serait la promesse si elles acceptent de traverser l’Atlantique. Pour les autres, échouer aux portes des Fashion Week signifie un retour au camp de réfugiés, avec dans leur bagage une dette de plusieurs milliers d’euros. Une ardoise liée aux frais de déplacements, logements et nourritures, avancés par les agences de modeling qui réclament leurs dûs faute de campagnes signées.

Depuis ces révélations par The Sunday Times, les agences incriminées lancent leur management de crise et publient leur communiqué de presse à coup de Stories sur Instagram pour prouver leur bonne foi. Elles vont même jusqu’à “demander” à leurs mannequins à succès, de jouer les exceptions qui confirment la règle, en filmant des vidéos TikTok vantant les mérites d’une agence qui leur a offert “une meilleure vie”. Les transformant en Cendrillons modernes. Tout ça, bien entendu, en laissant les commentaires désactivés.

@selectmodellondon

So much love to our beautiful Rejoice Chuol for sharing her experience with Select Model Management ❤️❤️❤️

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Missions humanitaires ou esclavage moderne ?

Alors, oui, on le sait, tout le monde ne réussit pas dans la Mode. Mais le vrai débat est ailleurs. Il se trouve entre le manque de prise de responsabilité sociale et l’exploitation de la misère à des fins mercantiles. Bien installées dans leur bulle de privilèges, les agences citées se présentent comme les sauveuses d’une figure de la “pauvre petite Africaine”, s’enorgueillissent de donner leur chance à quelques-unes d’accéder au succès et se dédouanent de la conséquence de leur action sur les autres. On ne connaît que trop bien ce mode de fonctionnement néocolonial avec une touche de white saviorism qui résulte en un esclavage moderne, et pose aussi la question de la diversité dans la Mode en Occident.

Un nombre incroyable de mannequins noir.e.s n’attendent que d’avoir leur chance dans leur pays. Mais comme le dit l’autrice Christelle Bakima Poundza, qui publie l’essai « Corps Noirs » dénonçant le manque de diversité dans le milieu, « il ne fait pas bon être le noir de son pays ». On préfère aller déraciner des personnes dans la misère pour se donner bonne conscience et si ça ne marche pas, on se dédouane en se disant qu’on a essayé. Les femmes noires européennes ne peuvent jamais gagner et sont mises en compétition avec d’autres femmes noires qui comme elles prétendent à un avenir meilleur.

Pourquoi faire plusieurs milliers de kilomètres quand des centaines de jeunes femmes noires en Occident rêvent, elles aussi, d’avoir une chance de percer en tant que mannequins dans leur pays ?

Est-ce parce qu’il est plus facile de bafouer les droits de femmes non-éduquées sur le business du mannequinat, que de respecter ceux de mannequins occidentaux issus de l’immigration ? Est-ce parce qu’il est plus facile de vendre le storytelling d’une étoile montante de la Mode qui a échappé à la guerre en Afrique, plutôt que de narrer celui d’Isa, de Fatou ou de Leila, qui elles, habitent à quelques stations de métro de leur agence ? Est-ce parce que les agences, mais aussi les marques, ne souhaitent mettre en avant qu’une seule facette de la beauté noire ? Excluant toutes celles qui ne correspondent pas à cet exotisme, celui qui ne s’acquiert que par le nombre de miles accumulés sur un billet d’avion ?

Après le mouvement Black Lives Matter et l’émoi mondial provoqué par le meurtre de Georges Floyd, beaucoup de marques et d’acteurs de l’industrie de la Mode promettaient des actions visant à accroître la diversité et une meilleure représentation des minorités. On avait l’espoir de voir les choses évoluer sous de meilleurs auspices, mais force est de constater qu’il y a un essoufflement de la part de ceux qui, hier, s’auto-attribuaient le label d’“alliés”. Il semblerait que peu de personnes souhaitent se confronter à leurs biais racistes inconscients et optent pour le tokenisme. On espère que les autorités prendront le sujet en main et protégeront cette nouvelle génération de femmes noires qui en a cruellement besoin. 

14 octobre 2023

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