En Inde, la mort d’une jeune travailleuse d’une usine fabriquant pour H&M s’est érigée comme l’étendard de la lutte contre la torture subie par toute une communauté.
À Dindigul, petite ville isolée dans l’état de Tamil Nadu au sud de l’Inde, la mort de Jeyasre Kathiravel a retenti comme une sonnette d’alarme. Cette couturière de l’usine locale de l’entreprise Natchi Apparels, sous-traitant pour H&M et autres grandes marques de fast fashion, a été retrouvée morte le 5 janvier 2021 par des agriculteurs à quelques kilomètres de son village. Grâce à ses 93 euros environ par mois, la jeune femme âgée de 20 ans assurait à sa famille une revenu fixe lui permettant de vivre. Suite à la tragédie, le superviseur de la jeune femme, un homme nommé par les médias indiens, V Thangadurai, a été arrêté et serait à l’origine du meurtre. Durant les mois précédant la mort de Kathiravel, ses proches n’ont eu de cesse de dénoncer le harcèlement sexuel qu’elle subissait de la part de son superviseur. « Elle disait que cet homme la torturait, mais elle ne savait pas quoi faire car elle avait tellement peur de perdre son emploi », raconte la mère de la victime, Muthuakshmi Kathiravel à The Guardian.
Interrogées par le journal The Observer partenaire de The Guardian, les travailleuses de l’usine Natchi Apparels ont affirmé que Thangadurai agissait comme prédateur sexuel au sein de l’établissement. La peur de représailles et celle de perdre son emploi, aurait empêché la victime de dénoncer les agissements de son supérieur comme l’affirme une de ses collègues.
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« Leurs empreintes digitales sont partout sur les vêtements que portent les habitants des pays riches, mais leur souffrance est réduite au silence. » a déclaré Thivya Rakini, présidente du Tamil Nadu Textile and Common Labour Union (TTCU), un syndicat local dirigé par des femmes représentant les travailleuses de l’usine. Au cours des semaines qui ont suivi le meurtre de Kathiravel, plusieurs dizaines de travailleuses du même entrepôt se sont exprimées en affirmant qu’elles étaient elles aussi harcelées et agressées à Natchi. Cette libération de la parole résonne comme une révolution pour les 3 000 travailleuses de l’usine qui exposent désormais la violence verbale et sexuelle relative aux filières de la fast fashion. Cette vague de harcèlements est d’ailleurs devenue quasi-systémique en raison du désespoir de ces femmes qui souhaitent conserver leur emploi à tout prix.
« Je travaille dans cette industrie depuis plus de 20 ans et j’ai vu des choses terribles se produire au sein de ces usines – des viols, des suicides et même des meurtres », a déclaré aux chercheurs du groupe international de défense des droits des travailleurs, AFWA (Asia Floor Wage Alliance), une femme travaillant dans une usine en Inde produisant des vêtements pour des enseignes étrangères et notamment britanniques. Certaines travailleuses auraient même été contraintes de prendre des pilules afin de retarder leurs règles dans le but d’atteindre les objectifs de production. Leurs collègues masculins auraient également usé de chantage, forçant certaines à avoir des relations sexuelles en l’échange de la réparation de leur machine à coudre. « Nous gardons le silence par peur de perdre notre emploi…Le stress mental a atteint le point de rupture – je me sentais presque suicidaire », confie une femme travaillant dans une usine au Pakistan à l’AFWA.
Face à la révélation de ces abus, les dirigeants de Natchi Apparels ont fini par s’exprimer, ouvrant un possible espace de dialogue. « Nous avons écouté très attentivement nos travailleuses et nous allons faire en sorte qu’aucune femme ne se sente plus jamais en danger sur l’un de nos lieux de travail », a par exemple déclaré Subash Tiwari, directeur général d’Eastman Exports. Le groupe a par ailleurs démenti le fait que la mort de la jeune femme ait eu lieu dans l’enceinte de Natchi Apparels.
Plusieurs groupes de défense des droits des travailleurs, ont eu tenu à rappeler que les récents témoignages d’abus ne doivent pas être associés à des cas isolés mais plutôt au reflet de l’importante précarité présente dans ces usines et de la manière dont ces comportements abusifs se sont ancrés dans les systèmes de production relatifs à la fast fashion. « Nous sommes confrontés à une épidémie de violence sexiste dans l’industrie mondiale de la mode, mais parce qu’elle touche des femmes pauvres travaillant à des milliers de kilomètres de chez elles, elle n’est pas considérée comme l’énorme scandale des droits de l’homme qu’elle est », a déclaré Rola Abimourched, directrice adjointe des enquêtes et de l’équité entre les sexes au WRC.
La réponse de H&M
Suite aux nombreux incidents au sein de l’usine Natchi Apparels, H&M a pris la décision d’annuler ses commandes. Une initiative qui sonne comme une mauvaise nouvelle pour ces travailleuses dont la survie dépend de leur travail. « Lorsque le signalement de problèmes sur le lieu de travail conduit les marques à retirer leurs commandes, les travailleuses doivent choisir entre le harcèlement sexuel et le chômage. », a déclaré Jennifer Rosenbaum, du GLJ-ILRF. « Notre objectif et notre espoir sont que l’accord conclu contribue à un changement durable et viable pour l’industrie dans son ensemble, au-delà d’une seule entreprise individuelle », a déclaré le géant du prêt-à-porter qui s’est engagé à faire surveiller les dérives liées à ses activités sur le territoire indien.
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9 juin 2022