Elles ont fait le choix ou non de faire fi de leurs cheveux, elles nous racontent.
Si derrière le crâne rasé féminin on y attache souvent un cri féministe qui voudrait que la femme utilise sa boule à Z comme mégaphone de son émancipation, alors on se trompe. Car il existe tout autant de raisons de se raser le crâne que de femmes dans le monde. Attraper la tondeuse peut-être un choix, comme pour Béatrice, parisienne et fondatrice du média @buzzed.media, plateforme inclusive dédiée aux femmes au crâne rasé. En diminuant sa masse capillaire, Béatrice a appris à redécouvrir sa personne. « Cette renaissance capillaire a résonné en moi comme une sérendipité. En rasant mes cheveux j’ai appris à aimer ce que je ne voyais pas/plus : qui je suis et d’où je viens ». Élevée en France, Béatrice a subi de plein fouet la hiérarchisation caucasienne. Celle instaurée depuis des décennies et qui voudrait que les codes blancs soient supérieurs. Jusqu’aux cheveux, lisses de référence.
« J’ai été élevé par une mère qui s’est battue pour vivre en France tout en me donnant le meilleur en fonction de ses capacités. Elle a fait de son mieux pour s’occuper de mes cheveux, mais par facilité elle a décidé de les défriser. J’enviais les cheveux caucasiens, je fuyais mon image pour ressembler aux stéréotypes érigés par la société. Au cours des années, j’ai appliqué différents produits chimiques, j’ai maltraité mes cheveux en pensant leur apporter une véritable attention », témoigne Béatrice. Le manque d’offres de produits capillaires dédiés aux textures afro, Bajougou nous en parle aussi. Cette jeune mannequin de 22 ans est, elle, une habituée du crâne rasé, coupe qu’elle arborait déjà durant son enfance. « En plus des prix élevés des produits, il n’existe pas beaucoup de produits pour cheveux afro en France. À cela s’ajoute les dégâts de précédentes coupes ». Un gâchis capillaire qui a poussé de nombreuses femmes noires à passer le cap.
Pour Marion, 25 ans, mannequin qui voyage entre Paris et Londres, le crâne rasé a été un bon levier professionnel. « J’ai fais les tresses, le tissage, les extensions à clips, j’ai défrisé. Je n’avais plus d’inspiration. Et surtout les cheveux c’était plus pour moi un poids qu’un plaisir. Les cheveux afro c’est énormément de temps et un budget inimaginable. Je passais mes dimanches à m’occuper de mes cheveux. », nous confie celle qui, en se rasant le crâne, a su mêler praticité et individualité. La tendance lui est venue d’Instagram, où de nombreuses filles posent fièrement avec leur nouvelle coupe minimaliste. Une prise de conscience 2.0 qui lui a permis de relativiser son rapport aux cheveux. « Ça t’apprend une autre façon de te porter, d’évoluer dans l’espace, tu ne peux plus te cacher derrière tes cheveux ». Et si dans certains milieux son choix aurait pu être mal accueilli, pour Marion l’effet secondaire à son crâne rasé a été tout autre. « Les gens viennent davantage vers toi parce qu’ils pensent que tu as quelques chose à raconter ce qui est faux (rires). Le regard de la société m’a aussi montré que j’étais plus jolie aux yeux des gens, plus intrigante avec mon crâne rasé. Demain si je me laisse pousser les cheveux je n’ai plus de travail ».
Hanna 19 ans, elle, a une histoire à raconter. Si elle pose désormais fièrement avec ses cheveux rasés, cela s’est fait par étapes. Atteinte de trichotillomanie, elle s’arrache les cheveux de manière compulsive depuis ses 9-10 ans. Rasée pour la première fois à 12 ans, âge où on rentre dans l’adolescence, elle a dû faire face aux moqueries notamment à l’école. Complexée, la jeune femme s’est renfermée sur elle-même avant de le dire avec un large sourire aujourd’hui : « C’est devenu une force, c’est moi maintenant, c’est mon identité ». Face au peu de représentations de femmes blanches crânes rasés qui s’offrent à elle, Hanna y pallie en sautant sur Instagram. Sur le net elles sont nombreuses à partager leurs expériences. « Souvent on n’ose pas me demander, ou alors on insinue que j’ai peut-être un cancer. Mais si on me demande je prends plaisir à expliquer vraiment ma maladie. C’est plus commun que ce qu’on pourrait penser la trichotillomanie ».
Awa, 29 ans, originaire de Nantes, a encore en tête la date précise où elle a donné son premier coup de tondeuse. Le 25 juin 2012, cette jeune agente immobilière a choisi de « cultiver sa différence ». Une reprise de contrôle sur une singularité qu’elle a toujours tenté d’épouser. « J’ai été différente des autres toute ma vie et je l’ai très très mal vécu ». Cette jolie blonde aux yeux clairs se sent aujourd’hui bien dans ses baskets, et qu’importe si on lui répète sans cesse qu’elle ressemble à Amber Rose. Une personnalité qu’Awa ne connaissait pas il y une dizaine d’années. « Je ne peux pas le prendre de façon négative car c’est une femme qui est très belle mais c’est vrai qu’il y a très peu de femmes blanches ou métissés qui ont cette coupe de cheveux. Au Cameroun, chez moi, c’est très banal », nous confit-elle. Et comme Marion ou Béatrice, Awa ne s’est jamais sentie aussi forte et féminine depuis qu’elle a fait fi de ses tifs. « C’est pour ça que je n’arrive pas à revenir en arrière. Ma posture a changé face au monde ».
Et si elles témoignent toutes des mêmes anecdotes, du monsieur lancé au lieu d’un madame dans la rue, qu’on les catégorise parfois comme malade du cancer ou aimant les femmes, Marion le dit parfaitement : « Lesbienne c’est comme homme, ce n’est pas une insulte ».
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Art direction et interviewer : Hanadi Mostefa
Photographe : Moïse Luzolo
MUA : Daurianne, Océane Susini et Tali Mendzylewski
19 janvier 2022