Mouiller le maillot, l’épreuve de trop du summer body

En 2024 la pression du corps parfait pour l’été est encore trop forte.

Illustration par @rubinojustine

61% des Françaises reconnaissent se sentir mal à l’aise en maillot de bain et n’acceptent que de porter un maillot une pièce sur la plage, d’après une enquête de l’Ifop parue en 2023. Un chiffre alarmant renforcé par le mythe du « Summer body », un concept selon lequel, à l’approche de l’été, il faudrait avoir la silhouette parfaite. Une deadline qui met la pression à beaucoup qui se disciplinent à base de régimes et de séances de sport avant l’arrivée des beaux jours. Aller à la plage et porter un maillot de bain deviennent alors des épreuves que beaucoup redoutent. Comment se libérer de cette pression sociale de se préparer à l’été ? Comment finit-on par accepter son propre corps, au-delà des projections du summer body ?

Miroir, miroir, dis-moi qui est la plus « fit »

Illustration par @rubinojustine

Le summer body est une compétition : contre les autres mais surtout contre son propre corps. Il faut le discipliner, l’exercer, le dompter jusqu’au résultat attendu. Tout cela dans un délai bien précis. Problème ? Il n’y a pas de baguette magique pour perdre du poids en un claquement de doigt. Conséquences : beaucoup de pratiques malsaines mauvaises pour la santé apparaissent.

À l’approche de l’été, Serena a déjà tenté de se conformer au summer body lorsqu’elle était plus jeune : «Quand j’étais ado, c’était quelque chose qui me tenait à coeur. 2-3 mois avant l’été, je me mettais aux régimes, je voulais perdre 10kg en quelques mois. Je faisais tout pour maigrir le plus vite possible. Même en vacances, parfois je m’empêchais de manger, ou je me levais tôt pour faire du sport. Avant d’aller à la plage ou à la piscine, je me regardais 30 minutes dans le miroir pour voir quelle position prendre pour rentrer mon ventre. Le summer body m’a beaucoup parlé, je l’ai appliqué jusque mes 20 ans, avant que le cheminement de confiance en soi soit entré dans ma vie.».

Parce que le bien-être physique est directement lié à la santé mentale, Ophélie Chicotteau, diététicienne- nutritionniste met un point d’honneur à la pratique de la médecine holistique, c’est-à-dire, prendre en compte toutes les dimensions du patient pour un accompagnement plus personnalisé.

«Ce que je trouve de malsain dans le summer body, c’est qu’on a tendance à voir le corps comme un objet. Moi, je travaille avec les notions de corps-objet et corps-vivant. Plutôt que de contraindre le corps, il faut avoir une action pour agir pour sa santé physique et psychologique. Pour ça, je pratique la bienveillance et l’auto-compassion : ne pas être trop dur.e avec soi-même, savoir lâcher prise.», nous explique-t-elle. La pression de ne pas réussir ses régimes peut mener à des dépressions et des TCA chez certaines patientes.

Illustration par @rubinojustine

Les challenges sportifs et alimentaires spécial «summer body» s’empilent sur les réseaux sociaux et représentent un vrai risque, surtout pour les plus jeunes. Un grand nombre d’influenceuses partagent leurs régimes drastiques et font des partenariats pour des smoothies coupe-faim et autres potions magiques. La diététicienne appelle ses patientes à se méfier de ce genre de contenus et de leurs red flags, comme les photos avant/après qui prônent la minceur, car «maigrir n’est pas toujours la solution».

« Je trouve ça assez grave que ce soit toujours aussi présent sur les réseaux sociaux de parler de summer body, de produits qui te font enlever ta cellulite ou tes vergetures, parce que, finalement, c’est juste un corps. C’est normal. »

Serena

Plaire aux autres plutôt qu’à soi ?

Bien souvent, la racine des complexes se trouve dans le regard des autres. Beaucoup se souviennent encore des remarques intempestives venant de tantines aux repas de famille. Tantôt trop maigres, trop pâles, trop dodues. Sans jamais avoir été interrogées sur le bien-être dans leur peau.

C’est le cas pour Lydia, étudiante, qui n’avait jamais remarqué qu’elle était mince, avant que l’on lui pointe du doigt : «Avant qu’on me le fasse remarquer, je m’étais jamais vraiment intéressée à ma corpulence. Et petit à petit, ça a commencé à prendre de la place. Je n’arrivais plus à me voir moi-même, mais je voyais le regard des autres sur moi, et ça me pesait. On a tendance à croire que puisqu’une personne est fine, on peut plus se permettre de lui faire des remarques. À l’inverse des personnes plus grosses, où on a tendance à prendre plus de pincettes.» nous confie la jeune fille.

Pareil pour Serena, qui elle aussi a intégré les remarques de son entourage : «Toute ma vie, le regard des gens a influencé le rapport que j’avais à mon corps, surtout ma famille. Je n’étais jamais satisfaite de mon apparence, parce que je ne savais pas à quoi je voulais ressembler. Je voulais être mince pour que ma maman me trouve bien. Je voulais correspondre aux normes de ma maman.», raconte-t-elle.

Illustration par @rubinojustine

La plupart du temps, on apprend aux femmes que leurs corps doit plaire aux autres, au lieu de leur apprendre à aimer leurs corps. Par « les autres », on sous-entend aussi — surtout— les hommes. Le male gaze joue un rôle important dans l’appréciation de soi pour beaucoup. «On m’a souvent rabâché qu’il faut que je sois en forme car sinon je ne trouverais pas de mari. J’aurais aimé qu’on m’apprenne à m’aimer plutôt qu’on m’apprenne à être jolie pour les autres. Il faut absolument revoir l’éducation des jeunes filles pour ne pas continuer à élever des filles complexées.» nous confie Prisca, autre jeune femme que nous avons interrogé sur le sujet.

«J’ai envie de pouvoir enfiler mon maillot de bain sans avoir à me soucier du regard des autres et de leurs commentaires sur mon corps.», raconte Clara, dont les vergetures ont longtemps été objets de complexe.

La faute aux médias féminins ?

Tapez « summer body » sur Internet et vous trouverez pléthore de conseils pour avoir le corps parfait. Et sur les barres de recherches imagées, ce corps se traduit par un ventre plat, un corps épilé, un bronzage bien réalisé, et surtout, par un corps mince. Une représentation dans laquelle peu de jeunes femmes se reconnaissent : «Je trouve ça absurde, perso, je ne m’y reconnais pas. Je ne fais pas du 36, j’ai un ventre qui tombe, et je n’ai pas une silhouette en sablier. Au fait, les corps sur les magazines ne représentent qu’1% des types de corps qui existent.», confie Lindsey, 21 ans.

Capture écran d’un article de Vogue France sur le summer body, vantant le lissage du décolleté dans une clinique de médecine esthétique, ou encore des fesses bombées via des machines spéciales.

La réalité est pourtant bien différente de ce que l’on voit sur Internet. On sait qu’aujourd’hui, la française moyenne fait du 40, et que moins de 20% des femmes portent du 38 ou du 36. Mais ces tailles restent les corps les plus représentés dans les publicités. Bourrelets, poils visibles, bras trop minces ou trop gros… Ces images là sont même absentes des campagnes de sport, comme si la pratique sportive n’existait que pour engendrer une perte de poids. Une femme ronde, en bonne santé, qui pratiquerait le sport dans des outfits adaptés à sa morphologie et qui prendrait du plaisir : une représentation complètement effacée du paysage publicitaire. Le summer body ne devrait-il pas être la meilleure version de soi-même en restant soi même ?

Tapez encore « summer body », et cette fois dans la section articles de presse. Vous y trouverez les plus grands féminins qui proposent une ribambelles de conseils pour remodeler son corps à l’approche de l’été. Meilleure routine et meilleurs aliments y sont préconisés. On n’a observé aucun corps avec des vergetures, de la cellulite, des poils, ou des bourrelets. Mais on y vu des jus amincissants et des programmes sportifs. Tant de conseils pour modifier son apparence, et très peu pour apprendre à l’apprécier.

Pour lutter contre les pratiques malsaines et à la pression sociale du summer body, il faudrait moins de commentaires intempestifs sur les corps des femmes et plus de pratiques bienveillantes. Non, les boissons coupe-faim des influenceuses ne sont pas la solution. Chaque corps est unique, et répond à des besoins spécifiques. Il faut bâtir une confiance en soi avant tout, et ne pas tomber dans le piège de la comparaison. Tous les corps sont beaux. Et Serena est formelle, le summer body, c’est dépassé : « Je ne l’applique plus du tout. Pour moi mon summer body, c’est mon winter body, mon spring body et mon fall body. C’est mon corps que j’ai toute l’année. Je ne vois pas pourquoi juste parce qu’en été tout le monde est en maillot de bain je devrais le changer. »

5 août 2024

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