Pour son numéro de novembre, la version US de Marie-Claire a choisi de célébrer les femmes de plus de 50 ans. Avec, en couverture, une Eva Longoria qui en paraît 30. Assumer son âge dans la mode, est-ce uniquement possible lorsqu’on en paraît 20 de moins ?
“Pour moi, l’âge n’est qu’un chiffre”. Cette phrase, c’est la plus célèbre des Desperate Housewife qui l’a prononcée dans les colonnes du dernier numéro de Marie-Claire, à l’aube de ses 50 ans. Covergirl du mois, l’actrice se confie sur son rapport à l’âge et à la beauté dans la dernière édition du magazine, baptisée The Age Issue. Et à voir les photos qui illustrent son portrait, on la comprend bien. Pas une ride, une peau tonique, une silhouette de rêve… Eva Longoria se fait le porte-parole des quinquas. Sans avoir l’air d’en être une ?
Une vraie avancée pour plus de représentations liées à l’âge, mais :
Un choix qui s’inscrit dans une tendance générale qui se dessine dans la mode. Après avoir évincé les mannequins grandes tailles des podiums, les créateurs semblent avoir une nouvelle cible pour s’accorder le crédit de l’inclusivité : la femme de plus de 50 ans. Lors de la dernière Fashion Week de Paris, 70% des griffes présentes ont fait défiler des mannequins séniors, et on a par exemple vu sur les podiums Sylke Golding (55 ans), Axelle Doué (67 ans) ou Kristen McMenamy (57 ans), toutes plus sublimes les unes que les autres. Avec comme unique rappel de leur âge, des chevelures grisonnantes. Jusqu’à, pour JW Anderson, faire porter des perruques grises à ses mannequins de 20 ans pour imiter les coiffures de nos aînées.
Pour Sébastien Hernandez-Bertrand, directeur de casting chez SHB interviewé par NSS, cette présence sans pareille de mannequin seniors sur les podiums ne s’explique pas uniquement par un désir d’inclusivité, mais par une quête d’identification à but économique. Selon lui, “les marques peuvent atteindre et s’adresser à un public plus âgé, qui dispose de budgets plus élevés, tout en se tournant vers l’avenir avec des mannequins jeunes”.
Une représentation en décalage avec la réalité
Est-ce pour cela que la seule représentation de la quinqua et celle d’une femme mince, riche, majoritairement blanche et, finalement, pas très représentative du mode de vie et des physiques de leurs paires ? “Je fais des bains de soleil à froid, j’allume mes lumières rouges, je fais de la musculation avec des poids, je médite, je tiens un journal… énumère Eva Longoria lorsqu’on l’interroge sur sa routine beauté, Je me réveille avec le soleil, je fais de l’ancrage, j’ai une bague Oura pour suivre mon sommeil profond, je prends du magnésium et d’autres compléments, je fais tout. Non pas parce que je ne veux pas vieillir, mais parce que je veux vieillir.”
Une routine qui demande non seulement de l’argent, mais du temps pour soi, denrée rare dans la vie d’une femme. Alors non, la mode ne tient pas à faire déculpabiliser les femmes de prendre de l’âge en embauchant des mannequins senior mais à leur montrer la seule façon acceptable de vieillir : que cela ne se voit pas. L’actrice Pamela Anderson a elle choisi de s’affranchir des diktats de beauté en s’affranchissant du maquillage. Un geste qualifié de « révolutionnaire », tant il l’est dans ce secteur. Elle France la photographiait d’ailleurs « make-up free » pour faire la Une de son Spécial Beauté de juin 2024. Céline Dion souffle également comme un vent de fraicheur, se montrant sans artifice lors de nombreuses de ses apparitions médiatiques.
“Moi, tu m’parles pas d’âge”
Une pression particulièrement ressentie par Linda Evangelista, ancien supermodel des années 1990 qui a vécu recluse pendant près de 5 ans suite à une opération de CoolSculpting (une pratique de médecine esthétique qui consiste à détruire la graisse localisée par le froid) qui l’a “définitivement déformée”, comme elle le confiait sur Instagram en septembre 2021. “Cela n’a pas seulement affecté mon travail, je suis également tombée dans une profonde dépression, avec énormément de tristesse et de dégoût de moi-même. Je ne voulais plus voir personne, j’étais coupée du monde entier”, a-t-elle ensuite avoué.
Il faut dire que, pour une femme, prendre sereinement de l’âge relève du parcours du combattant, vieillir n’étant pas plus autorisé à Hollywood que dans la vie. En effet, d’après un sondage de l’Ifop, 89% des femmes de plus de 50 seraient complexées par le vieillissement d’au moins une partie de leur corps et 35% d’entre elles envient le physique des femmes plus jeunes. Alors, une représentation plus réaliste et optimiste de la quinqua et plus dans la mode est-elle seulement possible ? Ou en tout cas avec davantage de transparence sur les recours à la médecine esthétique pour s’entretenir. Car si les avancées de ce secteur peuvent aussi être bénéfiques pour palier à des complexes ou à aider à avancer dans l’âge, n’est-il pas dangereux de créer une seule et une représentation de femmes plus âgées ?
Quelques marques se détachent de ce modèle unique de mannequin senior et n’hésitent pas à célébrer la femme qui fait son âge, celle qui s’épanouie dans cette étape de sa vie. Ainsi, lors du dernier défilé Miu Miu, on a pu voir au casting l’influenceuse chinoise de 70 ans Qin Huilan, l’actrice espagnole Ángela Molina (68 ans) ou la comédienne franco-britannique Kristin Scott Thomas (63 ans) fouler le podium, offrant un panel bien plus divers (et réaliste) de ce à quoi une femme de plus de 50 ans peut ressembler sans faire le choix de la médecine esthétique.
Égérie historique L’Oréal, Andie MacDowell se fait quant à elle régulièrement la porte-parole des sexagénaires bien dans leurs peaux. « Vous n’êtes pas ce que les gens projettent sur vous » rappelle-t-elle dans les pages de Vogue, « Je n’ai pas besoin, ni envie, de ressembler à ce que je ne suis pas ». L’actrice, qui participe régulièrement au traditionnel défilé de la marque de cosmétique, était d’ailleurs apparue rayonnante l’année dernière, en tenue de cuir noir sur le slogan barré « Beautiful for my age » (« Belle pour mon âge »), illustrant à la perfection l’idée selon laquelle la beauté n’a rien à voir avec les années qui passent. Aussi difficile soit-elle à accepter pour le monde de la mode, et la société toute entière.
Mais évidemment qu’on n’imagine pas des photos légendées des interventions de médecine ou chirurgie esthétiques auxquelles auraient eu recours ces stars. Un peu comme la désormais mention obligatoire « photographie retouchée ». En effet, depuis octobre 2017, tous clichés à usage commercial doit faire apparaitre cette information « lorsque l’apparence corporelle des mannequins a été modifiée par un logiciel de traitement d’image, pour affiner ou épaissir leur silhouette ». L’idée n’est pas de remettre en cause les choix personnels de ces stars, ni la façon dont elles souhaitent vieillir. Mais plutôt de questionner le choix des rédactions de mode, et des acteurs dans cet eco-système, qui véhiculent des diktats de beauté inaccessibles pour la société. Sans toujours trouver l’équilibre.
29 novembre 2024