Et Booba laissa mourir OKLM dans le plus grand silence

Une fin brutale et un curieux silence également de la part des médias spécialisés.

Crédit photo : Yassine Hajji/HYPEBEAST FRANCE

Silence radio. Étrange pour un dirigeant qui a tendance à surutiliser les réseaux sociaux comme mégaphone. Et pourtant c‘est bien le silence qu’a choisi Booba au moment de la disparition de son média OKLM, qui ne publie plus de contenu depuis mars 2020. Drôle de clap de fin pour un multi-player lancé en grande pompe voilà 5 ans, avec une promesse alléchante à destination de la jeunesse : représenter ceux qui ne le sont pas, promouvoir tous les artistes du rap game (même Kaaris l’ennemi juré de Booba) et dénicher de nouveaux talents, le tout reposant sur le slogan explicite “par nous pour nous“. Une maxime qui colle parfaitement au mindset de l’artiste, qui n’a jamais attendu quelconque validation au cours de sa carrière pour faire son bout de chemin. Un état d’esprit revendiqué qui lui a permis de truster le haut des Charts mais qui semble aussi, désormais, arriver à bout de souffle. 

Un échec télé 

 « (OKLM) ça va être un gros média qui va réunir toutes les nouveautés musicales mais aussi culturelles […]. Que ce soit un humoriste de théâtre, un humoriste des halls, un sportif, un rappeur, un danseur, un cuisto, un jardinier, tant qu’il a du talent, le plus méritant sera mis en avant. Ce que personne ne fait, on va le faire à notre sauce comme il se doit ». C’est par ces mots que le rappeur/businessman introduisait sa plateforme en 2015. Un site sous l’url oklm.com voyait dans un premier temps le jour avant l’arrivée d’une chaine Youtube, d’une émission de radio et d’une chaine télé en mai 2016. Un vrai challenge pour l’artiste qui admettait ne pas connaître l’univers de la télévision mais soulignait le très fort potentiel d’OKLM TV dans les colonnes du Figaro l’année de son lancement. « Il s’agit du meilleur démarrage d’une chaîne après BeIN Sports sur Free. C’est positif. Après on est loin d’être arrivés à nos fins. On est seulement à 20% de nos objectifs en termes de programmes… C’est du travail et ça prend un peu de temps mais on bosse dessus. On met plein de choses en place, on produit des émissions, on fait du contenu qu’on aime, ça évolue bien pour l’instant. OKLM TV va se développer petit à petit ». Malgré un format gratuit les premiers mois suivi d’un abonnement mensuel à 0,99 euros, la chaîne placée sur le canal 281 de Free peinera finalement à se faire une place dans un paysage audiovisuel déjà très fragmenté et en perpétuel renouvellement. En difficulté pour fidéliser une audience suffisante en France, OKLM TV connaîtra le même sort en Afrique au moment de son lancement en 2016 sur le Canal + continental. 

Des programmes de qualité mais une concurrence accrue

En dehors du cube cathodique OKLM arrive en revanche à créer une réelle émulsion. Un million de téléchargements pour son application mobile, une émission de radio La Sauce largement suivie et commentée, des freestyles affichant au compteur Youtube des millions de vues cumulées… Le média semble de prime abord avoir trouvé la formule pour naviguer sur le World Wide Web, en remettant au goût du jour des concepts old school. Mais le départ de l’animateur phare d’OKLM radio Mehdi Maïzi en juillet 2019 semblera porter un coup à l’un des concepts forts développés par OKLM, l’empêchant par la suite de prendre le tournant du Podcast, format aujourd’hui largement plébiscité. Et depuis le mois de mars 2020, plus rien donc. Près d’un million d’abonnés sur Instagram laissés orphelins, un site internet qui affiche une page d’explication en anglais pour initialiser le site… et surtout aucun communiqué. Il faut parcourir Twitter pour tomber sur quelques messages d’anciens membres du média qui annoncent quasi-simultanément leur départ à la mi-mai. Pas de message de la part de la directrice des programmes d’OKLM et OKLM TV Leslie LaGuapa, qui avait rejoint le groupe en décembre 2019, mais une mise à jour de sa bio Instagram et Twitter comme « ex-directrice ». Romain Percy Mani, cofondateur du média et véritable visage du navire OKLM dans l’industrie, a lui mis à profit son savoir-faire auprès des jeunes talents de la scène rap en faisant du conseil. Si le site a été effacé (seul un message du code source du site apparait), et le compte Twitter de la TV désactivé, la chaîne Youtube OKLMofficial héberge toujours les contenus produits par ses équipes. Une façon sûrement de pouvoir continuer à monétiser des vidéos qui cumulent pour certaines plusieurs millions de vues. Les derniers soubresauts du média.  

Alors peut-on imputer l’arrêt brutal d’OKLM aux effets secondaires du COVID, à un manque de vision stratégique, ou s’agit-il plus simplement d’un ras-le-bol du rappeur qui ne semblait plus en faire sa priorité business ? La question reste en suspens puisque les anciens contributeurs et actionnaires du média, sollicités par nos soins, n’ont pas souhaité s’exprimer. Les bruits de couloirs, eux, ne sont pas élogieux envers le fondateur.  Alors quelles raisons trouver à cet échec ? À l’heure où le rap est devenu le plus gros vendeur sur le secteur du streaming et où toutes les opportunités business semblent bonnes à prendre, on peut se demander ce qui a manqué à OKLM pour perdurer. Le pari fait par Booba il y a cinq ans aurait pu s’avérer prometteur, mais c’était sans compter sur le pendant du succès : la concurrence. Le paysage médiatique dédié au rap est déjà largement surchargé avec des dinosaures tels que Trace, Mouv’ ou Booska-P et des nouveaux nés prenant la forme de comptes Twitter et Instagram. Proposant de la snack news, ces derniers ont imposé une course frénétique à la publication, sapant le travail de fond des médias traditionnels et les obligeant à toujours repenser leur stratégie sur du court terme. On retiendra aussi le pari risqué d’investir le paysage télévisuel à une époque où d’autres avaient déjà échoué, comme la chaîne OFIVE déclarée en faillite par le tribunal de commerce de Paris et dont les principales têtes pensantes ont préféré monter une agence plutôt que de se lancer à nouveau sur un secteur vieillissant. L’explication peut aussi se trouver dans ce qui paraissait de prime abord une force pour OKLM : son géniteur lui-même. Avec une image controversée et l’accumulation de frasques médiatiques (humiliation permanente sur ses réseaux, clash avec Kaaris, bagarre à Orly…), la réputation du rappeur a de quoi freiner les annonceurs. Excellent levier en termes d’audience grâce à une fanbase loyale, Booba est aussi devenu sa propre épine dans le pied. Si des griffes comme Puma lui font confiance en le faisant signer un contrat d’égérie fin 2020, on peut entrapercevoir les limites de la liste des annonceurs qui, par ricochet, auraient pu pâtir des déboires du rappeur. D’autant plus que ceux-ci font désormais de l’éthique un véritable pilier de leur communication et stratégie marketing. 

Une fin brutale et un silence étonnant des médias 

Le silence d’OKLM résonne aussi fort que celui des médias rap et mainstream qui n’ont pas souligné cette fin avortée après avoir pourtant largement relayé le lancement de la plateforme. Un consensus médiatique qui pose toujours la question de la neutralité des médias rap sur les actualités liées à leur environnement. Se taire, c’est ne pas se mettre à dos les artistes, quitte à entacher son éthique journalistique. On l’a encore vu récemment avec les affaires Moha LaSquale ou Roméo Elvis, que des CLIQUE et Booska-P ont choisi de ne pas relayer. Un choix éditorial qui choque, dans un moment où la parole des femmes dans le milieu de la musique vient chambouler un système macho et nauséabond. En témoigne la dernière enquête de Mediapart. 

C’est donc à l’inverse de son arrivée tambours battants qu’OKLM disparaît. Quelques internautes continuent de s’interroger sur les réseaux, des tweets sans réponse qui trouveront peut-être en ces lignes une première explication. “L’échec c’est comme un combat de boxe, soit on gagne soit on perd mais pour le savoir il faut monter sur le ring”, confiait Booba au Figaro en 2016 quant aux risques liés au lancement d’OKLM TV. Pas sûr qu’à l’époque le DUC se doutait qu’il perdrait 4 ans plus tard son combat par KO, qu’Instagram lui supprimerait son compte, qu’il ne serait plus actionnaire majoritaire de sa marque légendaire Ünkut… pendant que Kaaris jouerait toujours à Nico Pronos. 

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