Les policiers dépouillent-ils les commerçants des Puces de Clignancourt ?

Une enquête de StreetPress a révélé que la cheffe de la brigade chargée de lutte contre la contrefaçon et deux autres policiers se seraient rendus coupables de rackets.

Crédit photo : Unsplash

Les habitués des Puces connaissent bien le territoire. D’un côté, les antiquaires, et de l’autre, des produits contrefaits, des coques de téléphones, des cigarettes électroniques et des bijoux en toc. Cette partie du marché, les policiers aussi la connaissent bien, puisqu’une partie de la brigade territoriale de terrain 824 (BTC 824) s’y rend fréquemment pour verbaliser et embarquer les vendeurs de contrefaçon. Et, au passage, se servir allègrement dans les caisses de ces derniers ?

C’est en tout cas ce que révèle une grande enquête menée par la journaliste Lina Rhrissi pour StreetPress. “Pendant 6 mois, j’ai enquêté sur une brigade spécialisée dans la lutte contre la contrefaçon aux puces de Saint-Ouen qui en profite pour se servir dans les caisses des commençants, et pas seulement des contrefacteurs, raconte la journaliste sur son compte X, Les commerçants sont extorqués depuis au moins 2 ans, de montants allant jusqu’à 50.000€. Tous ont identifié les 3 voleurs parmi les 6 agents de la BTC 864. Le cerveau du système de racket est aussi la cheffe de la brigade : Eva.S, que ses victimes surnomment  ‘la blonde. » Une quinzaine de commerçants et deux salariés de la société gestionnaire Mandon Somarep, accusent en effet trois agents de la brigade territoriale de terrain 824 (BTC 824) de racket à grande échelle. Qu’ils soient vendeurs de contrefaçon, ou non. 

Un mode opératoire bien ficelé 

Certains n’ont pas de papiers, d’autres peu d’argent, ou juste peur. Ils ne protestent pas quand Eva.S et ses brigadiers arrivent pour fouiller les stands et repartir avec l’argent : “Elle vient, elle cherche l’argent dans la sacoche, les cartons, la réserve… S’il y a l’argent, elle te laisse tranquille, sinon elle prend la marchandise. Elle m’a pris une somme phénoménale« , raconte Abdelkrim*, vendeur de produits contrefaits d’une quarantaine d’années. Mohammed*, un autre contrefacteur assure de son côté qu’elle “a menti à l’OPJ en disant [qu’il était] un vendeur à la sauvette qui a voulu fuir”, tout en lui dérobant plus de 1000 euros. 

Un mode opératoire qui ne concernerait pas uniquement les vendeurs de contrefaçon à l’image de Bachir* et de son oncle Mehdi*, installés aux Puces depuis plus de 20 ans pour proposer des produits tout à fait légaux, également victimes d’un contrôle abusif et du vol de 5.680 euros. “Ils n’attaquent pas la contrefaçon, ils n’attaquent que l’argent. Ils ne font pas leur travail !”, résume le commerçant, dont toute la famille a été fouillée. Un récit corroboré par des employés de Mandon Somarep, gestionnaire d’une partie du marché de l’avenue Michelet, qui assurent que la brigade fait “ce qu’elle veut, quand elle veut, bien souvent en dehors de toute procédure légale”

Un pouvoir particulier

Composée de six fonctionnaires, la brigade spécialisée a été créée en 2001 et comme le rappelle Eva.S, interrogée par StreetPress, elle “est la seule brigade en France qui s’occupe de la contrefaçon”. En effet, partout ailleurs en France, c’est la douane qui contrôle la détention et la vente de contrefaçon. “Saint-Ouen est la plaque tournante de la contrefaçon en Europe, donc il a fallu une brigade dédiée », explique la policière. Un pouvoir spécial et des procédures simplifiées qui, rappelle l’enquête, a déjà entraîné des dérives. En 2007, quatre policiers de la brigade ont été condamnés à du sursis pour vols. Pourtant, près de 20 ans plus tard, les nouveaux agents n’agissent pas bien différemment, se rendant même, d’après les commerçants, coupables de violences abusives. 

Interrogé par Lina Rhrissi, le parquet de Bobigny a rappelé qu’aucune enquête ne visant Eva.S ou ses collègues était en cours, et que celle confiée à l’IGPN, en 2022, pour des faits de violation de domicile visant des agents de la BTC 824 a été classée sans suite en mars 2023. Et souligne au passage que, “si des faits de vols sont allégués par des dizaines de commerçants pour un montant significatif, il est surprenant qu’ils n’aient pas déposé plainte”, occultant la peur des vendeurs de Clicli. De tout façon, d’après Momo*, “la blonde, quand elle prend quelque chose, personne ne la traîne devant la justice. Sa parole vaut cinquante fois la nôtre”.

L’enquête de StreetPress est à retrouver dans son intégralité ici.

*Les noms ont été changés

28 novembre 2024

Previous Article

À Paris, un Bal des Débutantes pour les "bien nées"

Next Article

Vieillir à condition de ne pas faire son âge ?

Related Posts