Assa Traoré et Louboutin : le luxe peut-il lutter contre les injustices sociales ?

Oui, mais.

Crédit photo : Louboutin

« Toute colère finit en spectacle sponsorisé », écrit Daniel Schneidermann dans sa chronique au sujet des Louboutin portées par Assa Traoré posant ainsi la question du militantisme « récupéré » par les marques de luxe. La militante est devenue la cible de plusieurs membres de la droite et de l’extrême droite après avoir posé, poing levé et Louboutin aux pieds. Une paire de talon rouge envoyée par Louboutin et imaginée par Idriss Elba et Sabrina Elba qui ont co-créé une collection engagée avec Louboutin, dont les bénéfices seront reversés à cinq associations qui luttent contre les violences policières mais aussi contre l’injustice sociale. La campagne « Walk a Mile in My Shoes » (« Marche un kilomètre dans mes chaussures »), qui accompagne cette sortie, a été déployée en France en sollicitant Assa Traoré donc, mais aussi le rappeur Jok’Air (engagé dans la lutte anti-raciste, mais moins dans la vague #MeToo du rap français) ou encore le footballeur Pierre-Emerick Aubameyang.

Si évidemment marcher en talon aiguille pendant 1 mile soit 1,6km n’est pas des plus confortables, la polémique autour d’Assa Traoré et la campagne Louboutin pose la question suivante : les marques de luxe peuvent-elles s’engager dans les luttes sociales sans faire du récupérationisme ? Aux États-Unis certaines marques ont été épinglées, suite à leur engagement pour le mouvement Black Lives Matter en 2020. Plus que des mots les consommateurs attendent des actes comme le révèle de nombreuses études menées ces dernières mois sur des sujets tels que le racisme, l’écologie ou encore la qualité des chaines de production. Youtube avait été pointé du doigt suite à son soutien au mouvement #BLM pour ne pas suffisamment modérer les contenus à caractère raciste sur sa plateforme. Des marques comme Google ou encore adidas s’étaient engagées à améliorer la représentation des Afro-Américains lors de leurs prochaines embauches, choisissant de transformer les mots en actes.

Les clichés ont la peau dure

En France les actions des marques s’étaient faites plus discrètes. « Le racisme reste un sujet tabou en France et les marques ne se sentent pas à l’aise pour prendre publiquement la parole sur le racisme. La lecture du paysage politique et culturel français est plus complexe que celle d’un pays plus binaire politiquement comme les États-Unis« , jugeait ainsi Olivier Creusy, directeur des programmes à l’Iscom Paris dans un article de Stratégie. La polémique autour d’Assa Traoré pourrait donc trouver un semblant d’explication ici. Mais ce serait omettre la réputation que Louboutin s’est forgée au fil des années, à son insu parfois. Considérée comme la chaussure des riches, la semelle rouge souffre du cliché « bling-bling » malgré un savoir-faire d’exception. Talon de 16 cm jugé vulgaire, placement de produits sur des célébrités… Louboutin est vite devenue un signe extérieur de richesse, classe pour certains, criarde pour d’autres. Le grand écart entre le message et la (mauvaise) réputation de la chaussure, semble déranger, même pour une noble cause.

Burberry et Marcus Rashford : l’importance du story telling

Si l’association entre Assa Traoré et Louboutin n’est pas une campagne mais le simple relai d’une action déjà existante, prenons le cas Burberry et Marcus Rashford. La marque de luxe britannique s’était associée au footballeur pour soutenir la jeunesse défavorisée et s’engager contre la malnutrition des enfants. Un duo 100% british, qui renforce la notion d’unité autour d’un combat social commun. La fracture entre deux mondes différents s’estompe ici par la nationalité commune des deux parties. Et pour couronner cette association, Burberry avait fait ériger une fresque en hommage à Marcus Rashford dans un quartier de Manchester, reprenant ainsi les codes de la rue, sans miser sur un produit qui incarnerait la richesse. Pas sûr que le soutien de Burberry à la star de Manchester United aurait été reçu de la même façon si Marcus Rashford avait demandé à sa communauté de lui venir en aide en portant des mocassins à glands.

La réponse se tient sûrement ici, dans la dématérialisation du combat pour les injustices sociales, dans l’absence d’association à des signes extérieurs de richesse que sont les pièces de luxe. S’éloigner de l’objet de consommation pour se rapprocher au plus près du message. Ne rien vendre, même au profit de dons. Apprendre à donner, sans rien attendre en retour. Même si cela peut paraître démago.

Vrai / Faux : Assa Traoré a-t-elle été payée par Louboutin pour faire la promotion de ses escarpins ?

17 juin 2021

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